Pourquoi Apple est-elle hostile aux cryptomonnaies ?

Apple s’est toujours montrée hostile aux applications dédiées à la cryptomonnaie. Sur son App Store, la firme américaine impose une batterie de règles très strictes aux services cryptos disponibles sur iOS sous prétexte de protéger les utilisateurs. Mais pour Coinbase, le fabricant d’iPhone cherche surtout à protéger ses propres intérêts financiers. Et Apple n'est pas la seule société dans le cas. Explications.

Pourquoi Apple est-elle hostile aux cryptomonnaies ?

Coinbase accuse Apple de freiner l’adoption des cryptomonnaies

Le 11 septembre 2020, Brian Armstrong, PDG de Coinbase, a publié une vaste diatribe à l’encontre d’Apple sur son compte Twitter. Le fondateur de l’exchange accuse le constructeur de smartphones de vouloir freiner l’adoption des cryptomonnaies.

https://twitter.com/brian_armstrong/status/1304489988881440768?s=20

Pour le dirigeant, le géant du smartphone empêche les développeurs d’applications, ainsi que les utilisateurs d’iPhone et d’iPad, de générer de l’argent avec les cryptomonnaies sans raison valable.

« Pourquoi Apple voudrait-il empêcher les gens de gagner de l'argent pendant une récession? Ils semblent ne pas être d'accord avec ça si les gens passent par la cryptomonnaie, » regrette Amstrong.

Le PDG de Coinbase regrette surtout qu’Apple interdise aux utilisateurs d’applications cryptos de générer des crypto-actifs avec leurs appareils. Apple interdit ainsi les applications qui minent des cryptomonnaies en s’appuyant sur la puissance du processeur des iPhone. Pour être acceptée sur l’App Store, l’application doit impérativement réaliser les calculs nécessaires au minage de cryptomonnaies sur des ordinateurs à distance.

Quelques semaines plus tôt, Brian Armstrong regrettait déjà qu’Apple ne bloque les applications décentralisées (decentralized applications en anglais, abrégées en dApps) de l'App Store dans un autre thread sur Twitter. Pour se conformer à la politique d'Apple sur son store, Coinbase a d'ailleurs été amené à supprimer le navigateur d'applications décentralisées (dApps) de Coinbase Wallet. Basés sur une blockchain, les dApps sont résistantes à la censure. Elles offrent une multitude d’offres différentes aux personnes intéressées par les cryptomonnaies. Par exemple, des services, comme Maker, permettent d’emprunter des stablecoins.

« Apple nous a dit que nous ne pouvons pas fournir une liste d'applications décentralisées (qui ne sont en réalité que des sites web) aux utilisateurs d'iOS, » poursuit le dirigeant de Coinbase.

Pour mieux comprendre les interdictions mises en place par Apple, Coinbase a demandé des comptes au géant californien. La réponse de la firme est restée laconique : « Votre application propose des transactions de cryptomonnaies dans un logiciel non intégré dans l'application, ce qui n'est pas approprié pour l'App Store ».

Apple refuse visiblement que les utilisateurs d’iPhone soient relayés sur des services non compris dans iOS. De la même manière, la firme empêche ses usagers d’installer des applications en dehors de son App Store. Fidèle à sa réputation, la firme fondée par Steve Jobs cherche à contrôler l’expérience utilisateur sur ses appareils de A à Z.

Les restrictions imposées par l’App Store

De fait, Apple a mis en place une règlementation ultra rigide à destination des développeurs souhaitant proposer des applications sur l’App Store. Ainsi, Apple interdit notamment les applications qui ne sont pas finalisées, qui incitent à la haine, qui ne détaillent pas suffisamment leur fonctionnement ou leur utilité ou qui demandent l’accès aux données utilisateurs sans une raison valable. Enfin, la firme exclut aussi les applications qui mettent en avant des termes comme « gratuit » de façon trop ostentatoire. Apple estime que ces termes pourraient être utilisés pour tromper les utilisateurs iOS.

Afin de protéger ses utilisateurs contre les virus, les arnaques ou les services de piètre qualité, Apple demande aux développeurs de soumettre leurs applications à une équipe de modérateurs. Ceux-ci vont s’assurer que toutes les règles de l’App Store sont bien respectées. Pour vérifier que la soumission ne provient pas d’un logiciel automatisé, Apple charge ensuite un employé de contacter les développeurs par téléphone.

« Lorsque les utilisateurs installent une application à partir de l'App Store, ils veulent être sûrs qu'il est sécurisé de le faire, que l'application ne contienne pas de contenu choquant ou offensant, n'endommagera pas leur appareil et ne causera pas de dommages physiques lors de son utilisation, » fait valoir Apple dans la liste des règles imposées aux développeurs.

Comme on peut le lire sur son site officiel, Apple impose surtout des règles très strictes aux applications liées à la cryptomonnaie. Sous prétexte de lutter contre l’apparition d’arnaques et d'escroqueries, le géant californien exige d’abord que tous les développeurs qui proposent des applications destinées à « faciliter le stockage de monnaie virtuelle » disposent d'une licence. La fonctionnalité de stockage de cryptomonnaies est réservée aux firmes enregistrées comme des services d'échange de cryptomonnaies auprès d'une autorité de régulation. De facto, la plupart des développeurs ne peuvent pas proposer une application permettant de stocker des BTC par exemple.

De plus, les applications ne peuvent pas proposer ou suggérer aux utilisateurs d’échanger des cryptomonnaies sur une plateforme. Cette restriction ne s’applique évidemment pas aux applications des plateformes d’échange. Là encore, on imagine qu’Apple souhaite éviter que des développeurs peu scrupuleux ne cherchent à arnaquer les utilisateurs iOS en relayant des services d'échange en ligne. Quoi qu'il en soit, Apple limite drastiquement la marge de manœuvre des applications du monde des cryptomonnaies.

Comme on vous le disait plus haut, Apple interdit aussi aux applications « d’offrir des cryptomonnaies pour effectuer des tâches, comme télécharger d'autres applications, encourager d'autres utilisateurs à la télécharger, ou publier sur les réseaux sociaux ». Cette règle vise par exemple certaines applications qui récompensent leurs utilisateurs avec du Bitcoin, ou une autre cryptomonnaie.

apple hostile cryptomonnaies

Par le passé, cette réglementation rigide a déjà poussé Apple à bannir plusieurs applications avec des options liées aux cryptomonnaies de sa boutique. C'est notamment le cas de Calendar 2, un calendrier macOS qui permettait de miner des cryptomonnaies avec le processeur de votre Mac. Pour justifier l'interdiction du minage de cryptomonnaies, Apple pointe du doigt la consommation énergétique requise par les calculs :

« Concevez votre application pour utiliser efficacement l'énergie. Les applications ne doivent pas vider rapidement la batterie, générer une chaleur excessive ou exercer une pression inutile sur les ressources de l'appareil, » avançait Apple en 2018.

De plus, on rappellera que la carte de crédit Apple Card, proposée en partenariat avec Goldman Sachs depuis 2019, empêche ses clients d’acheter des cryptomonnaies librement. Goldman Sachs étant plutôt connue pour son enthousiasme au sujet des cryptomonnaies, on imagine que cette restriction vient directement d'Apple. La firme de Cupertino semble être bien hostile à la démocratisation des cryptomonnaies. Néanmoins, les raisons derrière cette hostilité affichée sont plus stratégiques qu’idéologiques.

apple card coinbase

Apple protège la commission de 30% de l’App Store

Comme le souligne Brian Amstrong, les règles de l’App Store sont surtout pensées « pour protéger Apple de la concurrence ». En effet, quelques-unes des règles mises en place par Apple contre les applications liées à la cryptomonnaie visent à sauvegarder son monopole et, surtout, sa précieuse commission App Store de 30%.

« Si vous souhaitez proposer des fonctionnalités payantes au sein de vos applications (abonnements, devises dans le jeu, niveaux de jeu, accès au contenu premium ou déverrouillage d'une version complète), vous devez utiliser l'achat intégré. Les applications ne peuvent pas utiliser leurs propres mécanismes pour déverrouiller du contenu ou des fonctionnalités.[…]Les applications et leurs métadonnées ne peuvent pas inclure de boutons, de liens externes ou d'autres appels à l'action qui dirigent les clients vers des mécanismes d'achat autre que l'achat via l'application » édicte Apple.

Depuis la création de la boutique, Apple exige 30% du montant de tous les achats réalisés via l’App Store. Pour les développeurs gagnant moins d’un million de dollars par an, Apple a récemment baissé le montant de sa commission à 15%. Si vous vous abonnez à une application installée depuis la boutique, ou si vous achetez un service, la firme récupère une partie de son coût. C’est la même règle pour tous les achats enregistrés au sein d’une application. Pour éviter de tuer sa poule aux œufs d’or, Apple ne laisse pas la possibilité aux développeurs de permettre à leurs utilisateurs d’effectuer un achat hors App Store. Cette possibilité reviendrait à remettre en cause le business model de la boutique, et in fine, à réduire ses bénéfices.

Dans un document adressé à la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme financier des États-Unis, Apple admet d'ailleurs craindre une baisse de ses revenus si les développeurs de l'App Store passent par des alternatives pour facturer les achats intégrés. Le géant californien a donc pris conscience des risques représentés par ces alternatives pour ses bénéfices.

« Si les développeurs réduisent leur utilisation des plateformes de l'entreprise, y compris les achats via l'application,le volume des ventes et la commission que la société gagne sur ces ventes diminueraient. Si le taux de la commission que la société retient sur ces ventes est réduit, ou si elle est restreinte dans la portée ou éliminée, les finances de la société et les résultats d'exploitation pourraient être considérablement affectés, » explique Apple.

En restreignant l’utilisation des applications de la finance décentralisée sur iOS, Apple cherche avant tout à se prémunir contre la concurrence de celles-ci. Grâce à des services de paiement décentralisés, les développeurs pourraient s’affranchir du système d’achat in app proposé par Apple. Les utilisateurs seraient alors en mesure de s’acquitter du coût de leur abonnement, ou de n’importe quel achat réalisé dans l’application, en versant des cryptomonnaies. Les développeurs pourraient alors contourner la commission de 30% d’Apple. Dès lors, les dApps mettent en danger une partie des revenus générés par Apple.

Pour protéger sa commission App Store, Apple n’hésite pas à bannir sans scrupule les applications qui ne respectent pas cette règle d’or et proposent des méthodes de paiement alternatives. En août dernier, la firme a ainsi exclu la version iOS de Fortnite de sa boutique. Bien décidé à contester les méthodes d’Apple, Epic Games, développeur du jeu vidéo, avait en effet proposé sa propre solution de paiement dans l'application, contournant ainsi la commission App Store. Pour éviter de s’acquitter de cette commission, Spotify et Netflix ont quant à eux préféré supprimer définitivement la possibilité de s’abonner sur iPhone et iPad. Pour souscrire, les internautes doivent passer par un navigateur web.

Dans la même optique, la firme américaine évince aussi des applications qui risquent de se poser en concurrentes de ses propres services. Ainsi, Apple exclut les applications de cloud gaming de son App Store, comme xCloud ou Google Stadia. Le géant américain craint que ces services ne rivalisent avec Apple Arcade, son offre de jeu vidéo sur mobile.

« Apple se retrouve au centre d'un conflit d'intérêts en appliquant les restrictions de l'App Store. Bien qu'elles soient conçues pour protéger les clients, il semble de plus en plus qu'ils protègent également Apple de la concurrence, » note d'ailleurs Brian Armstrong.

Apple et Google, même combat

Google Play Store

En miroir d'Apple, Google impose des restrictions similaires aux applications de cryptomonnaies qui souhaitent être proposées sur le Play Store, la boutique intégrée par défaut à la plupart des smartphones Android. Le géant de la recherche interdit les applications qui minent des cryptomonnaies, même si l'accord explicite des utilisateurs a été obtenu, en s'appuyant sur la puissance de calcul des smartphones. Jusqu'ici, les applications de cloud mining restent tolérées.

Parfois, les algorithmes de Google bannissent aussi les applications qui se contentent d'évoquer le Bitcoin ou un autre crypto actif. Début 2020, la firme de Mountain View a ainsi supprimé Coindesk et Cointelegraph du Play Store avant un examen plus approfondi du contenu des applications. Régulièrement, Google retire temporairement des applications cryptos de sa boutique avant de se raviser sous la pression des développeurs.

Comme Apple, Google cherche en fait à protéger la commission imposée aux applications du Play Store. Les deux firmes pratiquent une commission de 30% sur les ventes d'applications payantes. Mais contrairement à Apple, Google n'impose pas d'utiliser son propre système de paiement in app. Comme annoncé en septembre dernier, la donne s'apprête à changer. Inspiré par les revenus gargantuesques générés par l'App Store, Google s'est engagé à durcir le ton en contraignant les développeurs à passer par son propre système. Les développeurs qui souhaitent continuer à contourner la commission de 30% doivent impérativement quitter le Play Store et proposer leurs applications sur un store alternatif, comme App Gallery, Aptoide ou Amazon App Store. C'est impossible sur iOS, où les stores alternatifs sont interdits par Apple.

On espère que ce dossier consacré au rapport compliqué entre Apple et les cryptomonnaies vous a plu. Si une erreur s'est glissée dans cet article malgré notre vigilance, ou si vous avez un avis sur le sujet, on vous invite à nous en faire part dans les commentaires ci-dessous.

 

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