« Faire de l'écosystème crypto français quelque chose de vraiment dynamique » : Entretien avec Stéphanie Cabossioras de Binance France

En exclusivité pour Cryptoast, nous avons eu l'opportunité de discuter avec Stéphanie Cabossorias, directrice générale de Binance France, afin d'élucider quelle vision portait l'exchange crypto sur l'Hexagone et de quelle façon il comptait s'y installer durablement. Contexte réglementaire, attractivité de la France et place de cette dernière au sein de l'Europe : tour d'horizon de toutes les questions que vous vous posez.

« Faire de l'écosystème crypto français quelque chose de vraiment dynamique » : Entretien avec Stéphanie Cabossioras de Binance France

Entretien avec Stéphanie Cabossioras, directrice générale de Binance France

Pour la 1re fois depuis son arrivée au poste de directrice générale de Binance France, Stéphanie Cabossioras a accepté de se livrer à une interview avec un média crypto francophone.

Cet échange va nous permettre de revenir sur son parcours, notamment sa transition depuis l'Autorité des marchés financiers (AMF) vers le poste de directrice juridique de l'exchange, qui précède lui-même son arrivée au poste de directrice générale, que Stéphanie Cabossioras occupe maintenant depuis novembre 2022.

À l'échelle internationale, Binance est depuis longtemps le principal exchange de cryptomonnaies en termes de volume échangé, et sa dominance s'est notamment accrue avec l'effondrement de FTX, qui demeurait jusqu'alors l'un de ses  principaux concurrents sur le marché crypto.

Et la France pourrait bien profiter de cette aura, Binance accordant un intérêt tout particulier à l'Hexagone, comme l'avait explicité son PDG Changpeng Zhao en déclarant que « la France occupe une position unique pour être la leader de cette industrie en Europe » l'année dernière, en marge de l'obtention de l'enregistrement en tant que Prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) par l'exchange auprès de l'AMF.

Depuis, Binance continue de se développer en France sous l'égide de Stéphanie Cabossioras et ses collaborateurs. Quelle est la vision de Binance pour son développement en France ? Comment la plateforme compte-t-elle se conformer aux futures réglementations ? Nous faisons le tour de toutes les questions du moment avec Stéphanie Cabossioras.

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Introduction : parcours de Stéphanie Cabossioras et poste de directrice générale de Binance

Pour commencer sur un sujet léger, quelle est la journée type lorsque l'on est directrice générale de la branche française d'une entreprise comme Binance ?

« Au poste que j'occupe, je suis amenée à toucher à beaucoup de choses. Mais avant tout, mon domaine porte sur tout ce qui se rapporte au juridique, à la compliance, à la conformité, au risque et aux affaires publiques. Pour un lundi type par exemple, nous tenons une réunion hebdomadaire avec les 2 autres décisionnaires, c'est-à-dire David Prinçay et Christelle Tang, au cours de laquelle nous évoquons les sujets généraux de la société. En ce qui me concerne, j'y aborde surtout l'aspect juridique et conformité, mais nous parlons aussi des sujets marketing et du développement commercial, ce qui permet d'apporter une vision panoramique de ce qui se passe au sein de l'entreprise. Ensuite, j'ai des réunions avec différents collaborateurs de Binance France, au cours desquelles on se donne les priorités de la semaine. »

C'est effectivement l'idée que l'on se fait de votre poste, les réunions doivent occuper une majeure partie de votre temps. L'aspect conformité a d'ailleurs dû être amplifié depuis votre enregistrement en tant que PSAN ?

« En effet. Nous avons des réunions sur des points un peu techniques, mais en ce qui me concerne, ça porte surtout sur l'aspect de la conformité. Surtout pour la 1re année d'enregistrement PSAN, qui a consisté à opérationnaliser toutes les obligations de l'enregistrement. Cela nécessite d'inclure de nouveaux process, en plus de revoir les politiques et les procédures de l'entreprise. Parce qu'en réalité, tous ces process sont industrialisés. Que ce soit pour le KYC [Know Your Customer, NDLR], notamment pour les demandes de documents, les justificatifs de domicile ou les sources de revenus. Cela concerne aussi la vérification des transactions. Si nous trouvons des transactions suspectes, nous devons les transmettre à Tracfin [Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, NDLR]. J'ai aussi de temps en temps des réunions avec l'Adan [Association pour le développement des actifs numériques, NDLR], car Binance France en est membre. »

Concernant vos liens avec l'Adan, on imagine que vos échanges doivent consister à élaborer de quelle manière vous pouvez participer au développement de l'écosystème crypto en France ?

« Exactement. Et même très concrètement, nous sommes en lien étroit avec l'Adan concernant l'élaboration et les évolutions des textes de loi pour y apporter notre contribution afin que ces derniers soient rédigés avec l'input de l'écosystème. Pour vous donner un exemple, l'Autorité des marchés financiers a récemment tenu une consultation pour adapter le régime PSAN avec MiCA et a consulté l'Adan. Nous y avons apporté notre contribution pour faire évoluer la chose. Plus récemment encore, l'Institut Montaigne a publié un rapport sur la blockchain pour lequel j'ai eu la chance d'être auditionnée afin de leur donner mon avis concernant les bonnes évolutions pour l'écosystème. »

Avant d'arriver chez Binance, nous le disions, vous avez effectué une partie de votre parcours professionnel au sein de l'AMF. Comment s'est réalisée cette transition vers le monde des cryptomonnaies pour vous ?

« J'ai la conviction personnelle que les crypto-actifs et la blockchain vont être un peu le nouveau développement des marchés financiers à moyen terme. Vu les gains d'efficacité et de productivité que va offrir la blockchain, je suis persuadée que tout un tas d'activités du secteur financier traditionnel vont basculer vers la blockchain. C'est surtout au niveau des cryptomonnaies ou des transferts de valeur, mais je pense que ça va être aussi le cas dans les paiements. Et je pense qu'à moyen terme, ça va être le cas avec les titres tokenisés, les actifs immobiliers tokenisés, etc. C'est un petit peu la vision que nous avions à l'AMF et je pense que c'est la vision que partage aussi le gouvernement français. C'est ce qui a mené à la rédaction des textes. Donc je me suis investie là-dessus avec d'autres personnes à l'AMF. Et après, je me suis dit qu'il était intéressant d'aller dans le privé chez un gros acteur pour mettre en œuvre ces textes et tirer vraiment le marché vers cette réglementation. La 1re étape est de faire le cadre juridique, tandis que la 2e est de l'appliquer

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Le rapport de la France aux cryptomonnaies

Nous voyons que la France apparait comme leader à échelle européenne en termes de réglementation, et attire même des entreprises à l'international grâce à cela. Vous le disiez précédemment, l'enregistrement en tant que PSAN permettra notamment aux entreprises enregistrées de basculer vers cette nouvelle régulation, par exemple. C'est une chance unique.

« Lorsque nous observons sur le moyen terme les innovations financières, il y a une phase d'emballement et puis après, il y a des risques qui apparaissent, il y a des crises, etc. Et si nous somme un pays en capacité d'anticiper ça et d'avoir déjà une réglementation pour lisser un peu les bulles, je pense que c'est favorable pour la stabilité financière et puis pour les investisseurs. Il est bon pour l'écosystème d'être en avance et mature sur la réglementation, parce que ça positionne la France en tant que leader sur ce nouveau secteur. Je pense que là, maintenant, ça marche plutôt bien. Et même au niveau international. Binance est la 1re plateforme internationale à être venue en France, parce qu'il y avait ce cadre clair et que les régulateurs connaissaient la technologie et pouvaient interagir avec l'industrie, ce qui n'est parfois pas le cas dans d'autres pays. »

À ce propos, Binance a développé un incubateur de startups au cœur de Paris l'année dernière, plus précisément à Station F. À travers ce dernier, ressentez-vous un engouement des entreprises étrangères pour la France ?

« En réalité, Station F a un retentissement énorme pour la France à l'international. C'est-à-dire qu'à travers tout le programme de Binance Labs, et donc d'incubateurs du monde entier, des entreprises crypto choisissent de se développer en France. En termes de rayonnement pour l'Hexagone, c'est exceptionnel. Des entreprises du monde entier postulent, et nous avons un processus de sélection extrêmement rigoureux pour les centaines de candidatures qui arrivent continuellement. »

L'obtention de l'enregistrement PSAN vous a-t-il, en dehors du côté purement réglementaire, ouvert de nouvelles portes en France ? Notamment du point de vue l'adoption par exemple.

« Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des marques d'intérêt de partenaires très fortes maintenant. Maintenant que Binance est régulée en France, certains types d'acteurs qui se montraient méfiants vis-à-vis des cryptomonnaies, que ce soit des banques, des commerçants, des institutionnels ou encore des fonds d'investissement, se rapprochent maintenant de nous. L'idée, c'est que tout cela fasse un effet boule de neige, que les différents business se rencontrent, s'interconnectent et puissent proposer de nouveaux produits dans l'optique de créer de la valeur et faire de l'écosystème crypto français quelque chose de vraiment dynamique. »

C'est quelque chose qui s'est récemment matérialisé à travers le partenariat que vous avez récemment conclu avec Lyzi, visant à permettre le règlement de transactions chez des commerçants en cryptomonnaies, par exemple.

« Il faut savoir que de manière générale, en France, il y a une très forte demande de la part des clients pour l'utilisation des cryptomonnaies comme moyen de paiement pour leurs achats dans la vie de tous les jours. D'ailleurs, les commerçants aussi montrent un intérêt croissant pour les paiements crypto, car cela leur permet d'accéder à une nouvelle clientèle. Mais ils s'y montrent ouverts seulement si tout cela est correctement encadré, notamment avec le KYC. Donc tout ça, le PSAN, l'encadrement contre le blanchiment d'argent, permet de débloquer des choses. Je pense vraiment, à titre personnel, que les paiements en crypto constituent désormais l'un des principaux champs de développement de l'écosystème. Notamment car cela permet de réduire drastiquement les coûts habituellement induits par le secteur bancaire traditionnel. »

Quelle est la place de Binance pour le développement des cryptomonnaies en France ? Participez-vous à des réunions visant à élaborer de quelle manière développer l'écosystème aux côtés d'autres acteurs ?

« Globalement, tout cela passe surtout par des organes spécialement conçus pour une coopération globale. À titre d'exemple, concernant la récente loi sur l'influence, il y a eu beaucoup de discussions entre le gouvernement et les parlementaires, et c'est surtout l'Adan qui a été en charge de faire le relais entre eux et les acteurs de l'écosystème crypto. L'Adan officie véritablement comme une passerelle à travers tout le secteur. Cela fonctionne d'ailleurs de la même façon dans le secteur financier classique, les professionnels font partie d'associations professionnelles chargées de les représenter auprès des autorités publiques, ce qui évite aux autorités d'avoir à consulter 15 000 acteurs chaque fois qu'ils ont quelque chose à demander. Pour le secteur bancaire par exemple c'est la FBF, [la Fédération bancaire française, NDLR], pour les places de marché c'est l'AMAFI [l'Association Française des Marchés Financiers, NDLR] et pour les cryptos, il y a vraiment une volonté que ce soit l'Adan qui représente le secteur. »

L'aspect réglementaire et la surveillance des transactions des clients

Comment surveillez-vous les transactions suspectes au sein de l'exchange et êtes-vous amenés à devoir collaborer avec les autorités dans certaines affaires ?

« Les gens ne le savent pas forcément, mais nous communiquons avec Tracfin [un service de renseignement français chargé de la lutte contre le blanchiment d'argent, NDLR] depuis que nous sommes enregistrés PSAN. Auparavant, cela n'était pas possible car le report de transactions suspectes est un processus tout à fait industrialisé, qui requiert l'enregistrement en tant que PSAN. C'est-à-dire que tout l'objectif de la réglementation de lutte contre le blanchiment, c'est d'identifier les transactions suspectes, de les rapporter à Tracfin et aux forces de l'ordre pour qu'eux puissent mener des enquêtes ou pas. C'est à eux de décider. Ce qui est intéressant, c'est que même avant notre enregistrement nous avions déjà un processus de monitoring, nous n'étions juste pas en mesure de communiquer les transactions suspectes aux forces de l'ordre. Du KYC pour faire du KYC ça ne sert à rien, là on peut s'en servir pour signaler des choses suspectes. Certaines personnes disent que l'enregistrement PSAN ne sert à rien et qu'il faudrait le retirer, mais en réalité, cela est crucial pour les affaires de blanchiment d'argent. »

Quels moyens mettez-vous en œuvre pour la surveillance des transactions et comment définissez-vous lesquelles doivent être considérées comme suspectes ?

« Il y a 2 moyens pour cela. Premièrement, il y a le moyen qu'a le secteur bancaire traditionnel, c'est-à-dire de se baser sur ce que l'on appelle des scénarios ; tel comportement observé sur telles transactions signale potentiellement une utilisation frauduleuse. Et dans ce cas-là, on parle véritablement d'activité criminelle. Cela est par exemple le cas lorsque l'on observe des gens qui saucissonnent leurs paiements, avec des petites sommes disséminées à droite et à gauche. »

Et là, on imagine que la blockchain présente un certain avantage par rapport aux schémas financiers classiques ?

« Le grand avantage de la crypto par rapport à la banque, c'est que l'on peut aussi avoir des outils qui permettent de retracer les fonds sur la blockchain. Donc si on voit que certains actifs sont liés au 1er degré ou au 2e degré à des portefeuilles suspectés d'activité criminelle, cela rentre dans nos outils et on peut aussi les considérer comme activités suspectes. Et ça, c'est beaucoup mieux que le secteur bancaire. Chez Binance France d'ailleurs, nous avons des gens qui viennent de la police qui ont déjà pu retracer des fonds dans certaines situations où cela n'aurait pas été possible sans la transparence de la blockchain. Par exemple, j'ai en tête des collègues de Binance qui m'ont expliqué qu'ils ont pu démanteler des réseaux criminels parce qu'ils ont pu prouver qu'il y avait des transferts de fonds entre les différents membres de ce réseau grâce à la traçabilité de la blockchain. Et quand on voit les espèces de toiles d'araignées de Chainalysis, on voit par où passent tous les fonds, ce qui est fantastique pour les enquêteurs. »

Au mois de mai dernier, Binance France a choisi de délister des cryptomonnaies dites anonymes telles que le XMR (Monero), le ZEC ou le DASH. Qu'est-ce qui vous a motivé à cibler ces cryptomonnaies en particulier ?

« En réalité, ce sont des cryptomonnaies très peu utilisées par nos utilisateurs, qui représentent des volumes très faibles. Et, en plus, cela complexifie grandement le suivi des fonds dans le cas où nous serions amenés à devoir coopérer avec les autorités pour des soupçons de fraude ou de blanchiment d'argent. Pour ces 2 raisons, nous n'avons pas jugé utile de les garder plus longtemps sur notre plateforme. »

Note : Depuis cette interview, Binance a décidé de lister de nouveau certaines cryptomonnaies à anonymat renforcé suite aux retours de sa communauté.

L'écosystème a été marqué par l'effondrement de FTX et la plateforme demeurait le principal concurrent de Binance en termes de volume échangé. Qu'est-ce que cela a provoqué chez Binance ? Avez-vous dû revoir certains de vos process et des points de votre politique interne ?

« De manière générale, dans ce genre de situation, on observe que les utilisateurs décident retirer leurs fonds dans des mouvements de panique, mais ils finissent par revenir. Ce sont des phénomènes nous sommes habitués, il n'y a pas de souci là-dessus. Et puis, nous sommes totalement transparents sur l'état de nos réserves, qui sont vérifiables en ligne par absolument tout le monde, ce que FTX ne proposait pas. Il y a beaucoup d'efforts qui sont faits en termes de transparence, et une fois de plus, les utilisateurs sont parfaitement libres d'utiliser leurs actifs comme ils veulent. Et s'ils veulent passer un self-custody, c'est très bien. C'est même à cela que sert la blockchain : de donner le pouvoir aux utilisateurs de choisir ce qu'ils veulent faire avec leurs actifs. D'ailleurs, FTX n'était pas enregistrée en tant que PSAN en France, et ça, de mon point de vue, c'est très révélateur. C'est d'ailleurs valable aujourd'hui pour certaines plateformes internationales qui ne sont toujours pas enregistrées. »

À la fin du mois de mai dernier, Binance avait occupé l'actualité suite à une annonce de licenciements largement partagée sur les réseaux sociaux. Changpeng Zhao, le PDG de Binance, s'était exprimé pour dire que cela était une procédure tout à fait normale et que l'entreprise était continuellement restructurée. Fonctionnez-vous également sur ce modèle à l'échelle de la France ?

« Au niveau de Binance France, ce n'est pas le cas. Nous avons une organisation que nous avons construite depuis l'enregistrement et qui est en expansion. Aujourd'hui, nous avons un mode de fonctionnement qui nous convient et qui nous paraît bien dimensionné au niveau de nos activités et des attentes des régulateurs. »


Merci à Stéphanie Cabossioras pour toutes ces réponses.

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