Comment MiCA va-t-il bouleverser l’écosystème crypto européen ? Entretien exclusif avec Faustine Fleuret et William O’Rorke
Au 30 décembre prochain, l'entrée en vigueur du règlement MiCA au sein de l'Union européenne annonce des changements majeurs pour les différents acteurs de l'écosystème. Face à ces bouleversements, Faustine Fleuret, la présidente de l'Adan, ainsi que William O'Rorke, associé et cofondateur du cabinet d’avocats Web3 ORWL, sont revenus pour nous sur les tenants et aboutissants de ce cadre réglementaire unique en son genre.
Au 30 décembre 2024, l’industrie crypto passe à l’heure MiCA
Le 30 décembre prochain, le fameux règlement MiCA entrera enfin en application pour la plupart des acteurs de l’écosystème. Après que les tenants et aboutissants du texte ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières années, découvrons leurs avantages et inconvénients.
Afin d’avoir une vue d’ensemble, nous nous sommes, dans un premier temps, entretenus avec Faustine Fleuret, présidente de l’Adan, ainsi qu'avec William O’Rorke, associé et cofondateur du cabinet d’avocats spécialisé dans le Web3 ORWL.
En France, dans le cadre actuel, les acteurs cryptos doivent essentiellement se conformer à des moyens de luttes contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, par exemple en s'enregistrant comme prestataire de services sur actifs numériques (PSAN).
Afin de prétendre à un agrément en tant que Crypto-asset Service Provider (CASP) prévu par le règlement MiCA, d’autres piliers devront être respectés comme :
- Des exigences en matière de fonds propres et/ou une assurance responsabilité civile professionnelle (RC Pro) ;
- Des obligations en matière de ségrégation des fonds, la gestion des conflits d’intérêts et la transparence en matière de communication commerciale ;
- Une conformité avec la réglementation DORA, visant à renforcer la cybersécurité ;
- De la prévention contre les abus de marchés tels que les délits d’initiés.
Un important bond réglementaire
Outre la réglementation DORA, Faustine Fleuret attire également notre attention sur des règlements parallèles qui entreront en vigueur et que nous avons pu évoquer par le passé, comme TFR, la directive DAC8 ou bien l'AMLR.
Si une période de tolérance de 18 mois est appliquée aux acteurs français disposant déjà d’un enregistrement, ce grand saut en matière de conformité peut créer des disparités en fonction des moyens de chaque entreprise :
Les grands acteurs financiers maîtrisent déjà la conformité. Leurs défis sont plutôt d’ordre technique, culturel, marketing ou opérationnel. Les startups, elles, font face à un véritable saut réglementaire, où un manque de ressources humaines ou financières peut être un frein décisif.
Faustine Fleuret reconnaît également les difficultés pouvant être rencontrées par les startups, mais met également en avant des défis communs :
Cependant, certaines difficultés sont communes, quel que soit le type d’acteurs, notamment lorsqu’il s’agit de blocages d’acteurs traditionnels (compte auprès d’une banque pour héberger le collatéral des émetteurs de stablecoins ; assurance RC pro), de publications de détails techniques attendus ou de clarifications nécessaires pour avancer. Ces problématiques ne sont en effet pas liées à la capacité financière des entreprises qui doivent se soumettre à MiCA.
Plus largement, la présidente de l’Adan déplore, entre autres, un dialogue avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui a pu se complexifier ces dernières années. En outre, les délais de réponse des régulateurs seraient trop longs, « que ce soit pour avancer dans les process d’autorisation engagés ou pour obtenir des clarifications ».
💡 Pour aller plus loin — Réglementation MiCA : quel avenir pour les stablecoins dans l’Union européenne ?
De la métamorphose profonde d’un écosystème, à la mise à niveau nécessaire des régulateurs
Bien que MiCA soit un changement d’envergure pour les différents acteurs de l’écosystème, il l’est aussi du côté des régulateurs. Faustine Fleuret souhaiterait que davantage de ressources soient mobilisées pour mener à bien ces initiatives, en particulier en France. Grâce à l'avance acquise depuis la mise en place de la loi Pacte, le pays est devenu plus attractif dans ce domaine.
Il faut que la France et l’Europe aient les moyens de leurs ambitions. Donc il faut davantage de ressources qualifiées côté régulateurs afin d’abonder sur les demandes d’autorisations et répondre dans des délais raisonnables aux entreprises. Et notamment en France qui est une juridiction très prisée des acteurs de marchés crypto pour obtenir leur agrément MiCA. La "rançon du succès" après le travail conséquent de la France pour mettre en place une réglementation des marchés crypto en avance par rapport aux autres États membres, puis promouvoir son harmonisation européenne.
De son côté, William O’Rorke aimerait voir une feuille de route prévisible et cohérente :
Plus qu’un allègement de la procédure, il faudrait une approche stratégique et prévisible. Avec MiCA, tous les régulateurs européens partagent le même texte. La « longueur d’avance » française disparaît, et la différence se jouera sur la qualité du traitement des dossiers : clarté, rapidité, visibilité. Un délai de 9 mois avec de la prévisibilité et un process de qualité vaut mieux qu’un délai de 5 mois, mais flou.
Parmi les autres axes d’amélioration, l’avocat déplore également le manque d’un statut « d’agent », similaire à ce que l’on peut trouver dans le secteur de la finance traditionnelle. En bref, une entreprise ne disposant pas de tous les agréments nécessaires pourrait quand même proposer certains produits, à certaines conditions, à ses clients, à condition de traiter avec une société pleinement réglementée pour ce faire.
Dans le cadre de MiCA, c’est toute la chaîne d’intermédiaires qui doit disposer du statut de CASP :
Or, il est évident que tous les acteurs du marché n’ont pas vocation à devenir CASP. Malheureusement, cette problématique ne peut être résolue sans une modification du règlement MiCA. Il s’agit toutefois d’une lacune particulièrement coûteuse pour le développement et la fluidité du marché.
Pour sa part, Faustine Fleuret regrette un manque de flexibilité dans les exigences faites à l’industrie, ce qui peut pénaliser les acteurs avec moins de moyens :
Ne ratez pas le bullrun, rejoignez nos experts sur Cryptoast AcademyLa petite startup et le mastodonte international sont traités à la même enseigne : il n’y a pas de montée en puissance des règles de MiCA selon la taille de l’acteur ou encore les risques qu’ils posent. Il n’y a pas non plus de mise en place graduelle de MiCA. Pourtant, compte tenu du profil de l’industrie des marchés crypto française et européenne (à savoir, principalement des petites et moyennes structures), une approche proportionnée et progressive aurait été bien plus adaptée pour amener sereinement le maximum d’entreprises vers MiCA.
La compétition avec les États-Unis
Sous l’administration Biden, l’industrie Web3 a longtemps déploré un manque de clarté réglementaire aux États-Unis, ce qui pouvait sembler un avantage pour l’Europe. Toutefois, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche semble en passe de changer la donne, avec un gouvernement attendu comme étant crypto-friendly.
Pour Faustine Fleuret, cette réglementation, qui n’est d’ailleurs pas toujours claire, était le principal avantage de l’Europe. En l'occurrence, il s’agit là d’un soutien insuffisant au regard d’autres piliers à considérer, à l’image des solutions de financement encore trop peu développées :
A contrario, le financement n’est absolument pas un problème aux États-Unis (ou en Asie d’ailleurs). Si on dresse le paysage général, les conditions de développement de l’innovation sont bien plus favorables aux États-Unis qu’en Europe. Ainsi, si les États-Unis adoptent une posture positive et active pour leur secteur, et notamment résolvent l’incertitude réglementaire qui régnait outre-Atlantique jusqu’à aujourd’hui, l’Europe doit se préparer à céder le terrain qu’elle avait gagné.
À son niveau, William O’Rorke souligne également la différence de culture entre les 2 continents en matière d’investissement, et se montre encore moins optimiste en ce qui concerne un supposé avantage réglementaire :
Même si l’Europe a créé un régime ad hoc [conçu pour, ndlr] pour les crypto-actifs, les États-Unis ont tout de même intégré les cryptos à la régulation financière existante avec les ETF Bitcoin et Ethereum. Donc, non, je ne pense pas que nous ayons profité de la situation. À la limite, la France a profité d’une forme d’avantage en Europe. Mais je ne pense pas que l’Europe ait récolté un profit face aux US. Finalement, une réglementation claire, ça reste 10 % du sujet de la compétitivité.
À propos de Donald Trump précisément, si l’avocat reconnaît que cela pourrait avoir un impact à court terme, comme avec l’arrivée de personnalités pro-crypto à des postes clés, les effets à long terme pourraient être plus limités, selon lui.
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Retour d’expérience sur l’avance française
Plus largement, la présidente de l’Adan souligne que l’existence d’un cadre n’est pas nécessairement un gage de stabilité réglementaire. Pour illustrer cela, elle prend en exemple le statut de PSAN en France, qui a évolué à plusieurs reprises depuis sa création :
La clarté d’un cadre a été associée à l’instabilité de ce cadre, notamment avec la révision et le renforcement de la réglementation PSAN plusieurs fois depuis 2019, très soudainement parfois, comme ce fut le cas lors de la faillite de FTX et la tentation des régulateurs de pousser pour l’agrément obligatoire des PSAN. In fine, cela nuit à la visibilité des entreprises.
Ici, notre invitée fait en particulier référence ici à l’amendement du 13 décembre 2022 déposé par le sénateur Hervé Maurey, qui a manqué de peu de rendre l’agrément PSAN obligatoire, à une époque où aucun acteur n’était encore prêt pour cela.
En outre, si la réglementation a son intérêt, Faustine Fleuret pointe néanmoins du doigt des difficultés d’application qui ont pu être observées en France :
Ouvrir un compte sur Binance, la plateforme crypto n°1 au mondeLa supervision n’a pas suivi la réglementation : les régulateurs ont failli à faire appliquer ce cadre par ceux qui ne le respectaient pas, et n’ont jamais sanctionné les acteurs non conformes. C’est à la fois très frustrant pour les entreprises qui jouent le jeu et font face à cette concurrence déloyale, et totalement contre-productif pour garantir la protection des investisseurs et la lutte contre la criminalité financière que ces règles visaient à assurer.
MiCA : un cadre aux implications multiples
Bien sûr, tous ces points abordés ne sont qu’un aperçu de toutes les implications du règlement MiCA. Alors que son entrée en vigueur approche, les mois à venir seront déterminants pour en saisir toute la portée.
Notons aussi que certains domaines semblent à ce jour hors du champ d’application de MiCA. C’est notamment le cas de la finance décentralisée (DeFi), mais William O’Rorke pointe du doigt une frontière qui serait plus ténue qu’on le pense :
Le sujet de la DeFi dans MiCA est très mal compris. MiCA exclut les services sur crypto-actifs s’ils sont « fournis de manière entièrement décentralisée sans aucun intermédiaire ». Dans la pratique, très peu de projets répondent à cette définition stricte. La marge d’interprétation est grande et laisse aux régulateurs la possibilité d’intégrer ces acteurs au champ d’application. Finalement, on ne peut pas dire que la DeFi est juridiquement hors de MiCA.
Si la DeFi ne semble à ce jour pas la priorité des régulateurs, nous voyons toutefois que certaines conséquences se font déjà ressentir du côté des utilisateurs, notamment à l’image de l’interdiction de proposer du rendement sur stablecoin, ayant conduit Coinbase Wallet à limiter l’accès à l’une de ses nouvelles fonctionnalités aux investisseurs européens.
Plus largement, nous aurions également pu aborder d’autres points relatifs à MiCA et l’ensemble de règlements amenés à impacter l’écosystème à moyen terme, à l’image de TFR, qui vient se placer en contraction avec la philosophie crypto.
Très prochainement, nous explorerons l’arrivée de MiCA à travers le point de vue de cadres et dirigeants d’entreprises de l’industrie crypto, afin d’avoir leurs retours d’expériences sur ce parcours réglementaire.
Nous remercions chaleureusement Faustine Fleuret ainsi que William O’Rorke pour le temps qu’ils nous ont accordé ainsi que leurs réponses.
🍿 Memecoins et crypto : ce que MiCA va changer (avec Romain Chilly de ORWL)
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