Cryptomonnaies et élections américaines : prémices, enjeux et perspectives

Le 21 juillet 2024, Joe Biden renonçait à sa candidature à l’élection présidentielle des États-Unis. Cette révolution dans le camp démocrate a mis un terme à une croisade anti-crypto, ce qui a permis à l’équipe de Kamala Harris de rattraper un retard accumulé sur le dossier des actifs numériques. Car, pendant ce temps, Donald Trump s’était autoproclamé « candidat de la crypto ». Mais depuis quand les candidats à la Maison Blanche se battent-ils pour avoir les faveurs de la cryptosphère ?

Cryptomonnaies et élections américaines : prémices, enjeux et perspectives

Du darknet au Sénat, les débuts du Bitcoin en politique

Cette idylle est récente. Lors de leur création, le Bitcoin et les cryptomonnaies se sont heurtés au pouvoir en place et à ses institutions, notamment la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier des États-Unis. Mais quoi de plus normal ? Bitcoin proposait de mettre un terme à la monnaie dette, autrement dit le dollar.

Au fil du temps, l’or numérique s’est éloigné des préceptes révolutionnaires de son fondateur, le mystérieux Satoshi Nakamoto. Les hommes et les femmes qui travaillent dans la cryptomonnaie ne sont plus des geeks sur le darknet. Avec le prix du Bitcoin, ils ont prospéré et sont sortis de l’ombre.

Plus question de renverser le pouvoir, ni de tout faire brûler. Dorénavant, le Bitcoin est un actif qui a sa place aux côtés de l’or dans les réserves d’un État. Enfin, selon ses partisans. En 2020, cette vision est encore loin d’être partagée par ceux qui sont au pouvoir.

Avant d’atteindre cet objectif ambitieux, l’écosystème crypto va devoir se développer. Pour ça, il lui faut un cadre « clair, simple et concis ». Et pour ça… il faut entrer en politique.

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Les cryptomonnaies à la conquête du Sénat

L’aventure politique du Bitcoin commence avec une femme, la sénatrice du Wyoming Cynthia Lummis. Après avoir découvert le Bitcoin en 2013, elle va tomber dans le rabbit hole. En 2020, élue au Sénat, elle va proposer des lois pour construire un cadre législatif favorable à l’industrie des cryptomonnaies.

D'autres figures vont commencer à émerger, comme Ted Cruz, le sénateur du Texas. Cet état du sud des États-Unis est devenu l’Eldorado du mining de Bitcoin grâce à ses grands espaces et son électricité bon marché.

Trump Ted Cruz

Ted Cruz aux côtés de Donald Trump, lors du débat présidentiel du 15 décembre 2015

 

Si ces 2 sénateurs sont républicains, le Bitcoin n’a pas de couleur politique. Jeremy Allaire, PDG et cofondateur de Circle, le qualifie même de « violet » : mélange du rouge républicain et du bleu démocrate :

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« Si l'on regarde ce qu’il s'est passé au cours des dernières années, on voit qu’un grand travail bipartisan a été accompli, grâce auquel des projets de loi majeurs sur les stablecoins et la structure des marchés ont pu progresser. »

Les entreprises et l’économie des actifs numériques se développent petit à petit. Parfois, les crises retentissantes ralentissent la machine. Il faut alors rassurer les élus, ou faire avec un durcissement réglementaire. Mais pas de quoi miner la détermination des crypto-partisans.

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Après le Sénat, Wall Street !

Car ces derniers voient grand. Ils visent l’adoption de masse. Une forme de démocratisation totale du Bitcoin, à la fois en tant qu’actif et technologie. Une des étapes pour atteindre cela, c’est le lancement d’un ETF – Exchange Trading Fund. Il s’agit d’un produit financier vendu par une entreprise comme BlackRock. L’ETF permet d’investir sur quelque chose sans avoir à le posséder. Un des exemples les plus courants, ce sont les ETF sur l’or.

Dans le cas du Bitcoin, un ETF permettrait aux entreprises d’investir sans avoir à posséder des cryptomonnaies. Car ces dernières fonctionnent avec une blockchain, et il faut une expertise technique pour les stocker. Tout comme l’or qui demande un espace de stockage sécurisé, de grands coffres, etc. Avec un ETF, un fond d’investissement peut investir des milliards de dollars rapidement et en toute sécurité.

Seulement, pour être accepté, un ETF doit être validé par le gendarme boursier américain, la SEC. Et c’est là que le bras de fer entre le camp crypto et ses adversaires a commencé à s’intensifier.

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La croisade anti-crypto de Gary Gensler et Elizabeth Warren

Si les sénateurs des 2 bords travaillent main dans la main, il y a une sénatrice qui a une dent contre le Bitcoin : la démocrate Elizabeth Warren.

Cette dernière a commencé sa carrière dans le sillage de la crise des subprimes. L’absence totale de régulation avait mis l’économie mondiale à genoux ; Elizabeth Warren est venue remettre de l’ordre. Elle a fait face aux banques les plus puissantes du pays, poussant le PDG de Wells Fargo à démissionner.

Sous l’administration Obama, elle n’hésite pas à s’en prendre à la présidente de la SEC d’alors, Mary Jo White, qu’elle trouve trop complaisante avec les institutions financières. Sous la présidence de Joe Biden, Gary Gensler est nommé à la tête de la SEC.

Elizabeth WarrenElizabeth Warren s'adresse à ses partisans une nuit avant les primaires en Californie, le lundi 2 mars 2020

 

Elizabeth Warren et Gary Gensler semblent s’accorder sur certains points, en particulier sur les cryptomonnaies : il s’agit d’actifs dangereux pour l’économie américaine et les investisseurs. Des pays comme l’Iran et la Corée du Nord l’utilisent pour contourner les sanctions. Selon eux, il est important de réguler, et fermement.

Au sénat, Elizabeth Warren et les lobby crypto se rendent coup sur coup. Entre les 2 camps, la guerre est ouverte.

Et Elizabeth Warren a une arme de taille : la SEC, avec un Gary Gensler disposé à rejoindre la bataille à ses côtés. Cependant, ce n’est pas sous Gary Gensler que la SEC intente un procès à Ripple, c’est sous l’administration Trump. Mais c’est bien Gary Gensler qui va poursuivre Coinbase, Binance et Kraken, ou qui va s’opposer jusqu’au bout à l’introduction d’un ETF spot pour le Bitcoin sur les marchés financiers américains.

Elizabeth Warren est devenue la figure de l’opposition gouvernementale aux cryptomonnaies. Si Gary Gensler est son bras armé, elle est la tête. C’est elle que le lobby crypto va chercher à abattre.

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La guerre fait rage entre anti et pro Bitcoin

Les coups pleuvent, mais les partisans du Bitcoin gagnent du terrain. Les startups deviennent des entreprises florissantes. Les montants engagés sont de plus en plus importants. Et de l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe prend de l’avance. Les emplois commencent à quitter le territoire nord-américain, le pays prend du retard. Et ça, l’ADN étasunien a du mal à le supporter.

Même dans leur propre parti, le duo Warren-Gensler s’isole. Leur méfiance envers les cryptos, qui était autrefois comprise, voire partagée, devient problématique. Le SEC perd ses procès face à des entreprises crypto qui ne lâchent rien. Et même les géants comme BlackRock changent d’avis sur le Bitcoin, qu’ils aimeraient bien ajouter à leur offre d’ETF.

La pression de l’opinion publique, des sénateurs et des géants de Wall Street aura raison de Gary Gensler. Ce dernier cède et finit par accepter plusieurs ETF spot sur le Bitcoin le 10 janvier 2024.

Depuis leur lancement, les ETF Bitcoin spot affichent des performances hors normes 

 

Mais tout n’est pas gagné. La SEC avait mis en place le Staff Accounting Bulletin No. 121 (SAB 121) en 2022, un ensemble de règles imposées aux entreprises qui détiennent des crypto pour le compte de leurs clients. Des règles qui, dans les faits, rendent quasiment impossible le déploiement des ETF.

Une dizaine de sénateurs démocrates, menés par Chuck Schumer – le leader de la majorité présidentielle au Sénat – vont demander le rollback de ce SAB, c'est-à-dire son annulation. Cette demande finit sur le bureau de Joe Biden, qui peut apposer son veto.

Les choses sont en pause après ces victoires en séries pour le camp crypto. Incarnant le bastion, Joe Biden peut bien paralyser la situation encore quelques mois. Seulement, en parallèle de cette bataille, une guerre a lieu : l’élection présidentielle de 2024.

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Donald Trump comprend que le vote crypto est un enjeu électoral en 2024

Pendant que le camp démocrate s’illustrait par sa défiance envers la crypto, Donald Trump a eu le champ libre pour faire l’inverse : devenir le candidat de la crypto. Ce qu’il fait pour plusieurs raisons.

Pour commencer, Trump détient maintenant des cryptos. Il récolte des dons en Bitcoin ou en Ether, il lance des collections de tokens non-fongibles (NFT) et certains vont même jusqu’à créer des memecoins à son effigie.

L’ancien président des États-Unis a compris 2 choses très importantes : il y a de l’argent dans cet écosystème, et il y a aussi une base électorale à ne pas négliger. Près de 68 millions d’américains, pour être précis. Autant d’électeurs potentiels, et il sait aussi que personne n’a vraiment pris la peine de les prendre au sérieux. En 2019, ils étaient à peine 16 millions.

Alors, l’ancien président américain et actuel candidat s’entoure. Il a des conseillers qui connaissent bien le sujet, mais surtout, il a le soutien du fond a16z, détenu par les 2 milliardaires Marc Andreessen et Ben Horowitz.

Ces derniers ont misé 8 milliards dans les cryptomonnaies, et ils détestent Gary Gensler, qu’ils qualifient de « menace existentielle ». Ces anciens supporters des démocrates sont aujourd’hui « prêts à dépenser tout ce qu'il faut pour faire partir Gensler ».

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Donald Trump fait… du Trump

Dans le système américain, il n’y pas 36 options. Quand les démocrates ne sont pas à votre goût, vous allez chez les républicains. Et cette année, il n’y a pas vraiment eu de primaire chez les républicains. Trump a simplement raflé la mise, malgré ses condamnations.

Marc Andreessen et Ben Horowitz sont donc allés voir Donald Trump. Et ce dernier a montré son soutien aux crypto lors de la Bitcoin Conference de Nashville. Il a bien repris les éléments de langage, parlant de la fuite des emplois et de l’ennemi Gary Gensler. Il a caressé le public dans le sens du poil, avec la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Bref, c’est du Trump.

Mais quoi qu’on en dise, cette stratégie de communication a fait ses preuves.

Donald Trump Bitcoin

Donald Trump, lors de son discours à la conférence Bitcoin 2024 de Nashville

 

Et même quand il gratifie le public d’un « Amusez-vous bien avec vos Bitcoins, vos cryptos et tous vos autres trucs », à mi-chemin entre le paternalisme et la condescendance, la foule applaudit.

Car en face, c’est Elizabeth Warren, celle qui a juré la perte de tout l’écosystème. Et, en somme, les doutes sur les promesses de Trump valent mieux que la certitude sur la haine de Warren.

Mais surtout, il y a le PAC Fairshake et ses millions de dollars

Donald Trump est donc en train de faire main basse sur les 68 millions d’électeurs ? Pas sûr. Car le Bitcoin est un mouvement relativement apolitique. Ses supporters sont globalement neutres, ou alors également répartis entre républicains et démocrates. Et il est fort probable qu’ils ne soient pas disposés à voter pour Donald Trump simplement parce qu’ils possèdent 500 dollars en crypto.

Le vrai coup de poker se situe ailleurs. Ce n’est pas les petits porteurs que vise le candidat, c’est les milliardaires. Or, il se trouve que ces milliardaires se sont déjà réunis et qu’ils ont commencé à combattre Elizabeth Warren. C’est le Political Action Committee (PAC) Fairshake. Les PAC sont des organisations privées dont le but est de soutenir ou combattre des politiques ou des lois.

Le PAC Fairshake est soutenu par les grands noms de la crypto. Et financé aussi, à hauteur de 200 millions de dollars. Il a déjà mené des actions et remporté des batailles, bloquant les soutiens d’Elizabeth Warren lors de différentes élections. Il a ainsi dépensé 83 millions de dollars, et entend bien continuer pour vaincre définitivement la sénatrice.

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L’ennemi de mon ennemi

En étant lui aussi l’ennemi de Warren, Donald Trump devient donc l’allié du PAC Fairshake, et potentiellement la meilleure manière d’investir les 120 millions de dollars restants dans leurs caisses. Une somme équivalente à 10 % du budget de la campagne de Joe Biden en 2020. Un montant non négligeable.

On comprend mieux sa déclaration choc « mon premier jour à la présidence, Gensler dégage ». Au-delà des rires de la foule, c’était aussi un signal à Fairshake : je suis votre homme.

D’ailleurs, le PAC Fairshake est financé à hauteur de 44 millions de dollars par Andreessen Horowitz (a16z). Il y a également Circle, Coinbase et Ripple, qui à eux 3 ont donné 92.5 millions de dollars. Parmi les autres donneurs, on retrouve les jumeaux Winklevoss qui possèdent l’exchange Gemini, et la société Jump Trading, au cœur de l’enquête de la SEC contre Terra (LUNA).

Changement d’ambiance chez les démocrates

Donald Trump a donc trouvé un ennemi commun entre lui et un PAC doté d’un formidable trésor de guerre de 120 millions de dollars, le tout emballé dans la possibilité de gagner la faveur de quelque 68 millions d’électeurs.

Dans le camp démocrate, la croisade d’Elizabeth Warren ne faisait déjà plus l’unanimité. Mais dans ce contexte, elle devient un véritable danger. Le début de campagne chaotique de Joe Biden n’a pas été marqué par des promesses ni des alliances. Le seul engagement du candidat était de ne plus tomber en descendant un escalier. Et le rollback du SAB 121 quant à lui était toujours sous la menace d’un veto présidentiel.

Mais, le 21 juillet 2024, tout a changé. Dans un mouvement jamais vu depuis 1968, Joe Biden renonce à sa candidature. Kamala Harris, sa vice-présidente, le remplace, et nous voyons déjà la différence.

Kamala Harris Joe Biden

Kamala Harris et Joe Biden, apparaissant pour la première fois ensemble depuis que le président américain a renoncé à sa candidature

 

Sur le dossier crypto, elle fait les comptes : plus personne ne soutient Elizabeth Warren ni Gary Gensler. Pire, leur guerre risque d’apporter 120 millions de dollars à Donald Trump, plus des électeurs. Et combien d’autres riches entrepreneurs crypto sont également prêts à faire des dons généreux ? Il faut agir, et vite.

Pour l'heure, il n’y a pas eu de déclaration, mais une réunion secrète. Et le nom des participants prouve que le PAC Fairshake est bien au cœur du débat : Kamala Harris a rencontré Coinbase, Ripple et Circle. Autrement dit, 92,5 millions de dollars qui étaient promis à Donald Trump.

Sans que l’on puisse tirer de conclusion, les acteurs du secteur montrent déjà un certain soulagement : « Le fait qu'elle soit prête à écouter est très significatif. Avec Joe Biden, on ne pouvait même pas obtenir une réunion... » glisse le cadre d’une société crypto.

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Conclusion sur la place des cryptomonnaies au sein des élections américaines

En 2008, lors de la crise des subprimes, la régulation agressive est devenue le cheval de bataille d’Elizabeth Warren. Mais en l’absence de discernement, ce combat noble est devenu une quête dévoyée. Il a freiné les États-Unis dans l’aventure crypto, jusqu’à mettre en péril leurs entreprises.

L’union bipartisane a fini par triompher au Sénat. Mais c’est sans doute le danger représenté par les 120 millions de dollars du PAC Fairshake qui a achevé de faire bouger les choses. Une fois le dialogue possible, Coinbase, Ripple et Circle seront-ils prêts à revenir dans les rangs démocrates ?

Maintenant que les 2 candidats ont reçu les représentants du secteur crypto, reste à voir quelles seront leurs promesses. Fond souverain en Bitcoin ? Conseiller Crypto à la maison blanche ? Amnistie pour les entreprises du secteur ? Tous les espoirs sont permis. En tout cas, le programme du camp démocrate, récemment dévoilé, ne fait aucunement mention des cryptomonnaies.

Ce qui est sûr, c’est que la guerre commencée en 2020 est terminée. Et le camp crypto a vaincu la SEC, la CFTC et Elizabeth Warren.

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Ettore

Magnifique résumé. La politique et les cryptos avant l'élection Américaine.

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