Rapport de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) – La DeFi appréciée, les crypto-actifs critiqués

Paru le 1er septembre dernier, le rapport de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) est consacré aux tendances et aux risques liés aux marchés. Les cryptomonnaies sont longuement évoquées, avec une mention spéciale pour les stablecoins. Sans surprise, il y a peu d'arguments positifs en faveur des actifs numériques. En revanche, l'ESMA leur reconnaît le caractère d'innovation. Voici les grandes lignes du rapport.

Rapport de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) – La DeFi appréciée, les crypto-actifs critiqués

Qu'est-ce que l'ESMA ?

Avant d'évoquer le contenu de ce rapport de 110 pages, rappelons ce qu'est l'ESMA. L'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA pour European Securities and Market Authority) est une autorité de surveillance de l'Union européenne, indépendante de tout pouvoir politique. Son siège est situé à Paris.

Le domaine de compétence de l'ESMA regroupe les marchés financiers et leur législation. Son objectif est d'améliorer le fonctionnement desdits marchés, de renforcer la protection des investisseurs et la coopération entre les autorités nationales compétentes, incluant l'Autorité des marchés financiers (AMF) en France.

En résumé, l'ESMA est au niveau européen ce qu’est l'AMF au niveau national. Elle a toutefois un rôle supplémentaire, celui de réguler les agences de notation comme Standard & Poor's qui ont tant fait parler d'elles après la crise des subprimes. Autant dire que l'on prête attention à un rapport de l'ESMA évoquant les cryptomonnaies.

L'ESMA voit les cryptomonnaies comme une innovation à part entière

Apparus en 2009 avec le protocole Bitcoin (BTC), les crypto-actifs sont jeunes par rapport aux autres actifs financiers régulés par l'ESMA. Pour cette raison, selon l'autorité, les cryptomonnaies représentent toujours une simple « innovation » et n'ont, semble-t-il, pas encore franchi le cap d'être considérées comme des actifs classiques.

Au sein du chapitre consacré aux innovations financières, l'ESMA considère que la technologie blockchain, appelée technologie des registres distribués (DLT pour Distributed Ledger Technology), présente cependant des cas d'usage intéressants.

En effet, elle pourrait « améliorer l'efficacité des entreprises et le résultat attendu par les consommateurs ». De fait, l'autorité européenne voit dans la DLT une innovation non négligeable au même titre que l'intelligence artificielle et le machine learning.

Le rapport est plutôt élogieux envers les monnaies numériques de banques centrales (MNBC), qui permettraient d'attirer encore plus d'investisseurs institutionnels. Dit autrement, l'ESMA souhaite que les banques centrales s’approprient la technologie blockchain afin d'émettre des MNBC sous leur contrôle, au contraire du Bitcoin et des autres cryptomonnaies.

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Cryptomonnaies dans le rapport de l'ESMA : la finance décentralisée (DeFi) plutôt bien vue

La DeFi, c'est la surprise du rapport de l'ESMA. En effet, l'autorité européenne reconnaît qu'elle a attiré de nombreux investisseurs et voit ses principes de manière positive (pour les intéressés, allez à la page 56 du rapport).

Pour l'ESMA, la DeFi permet d'accéder aux produits financiers construits sur des réseaux pair-à-pair, le tout de manière décentralisée. Surtout, la DeFi étend l'utilisation de la blockchain à une grande variété de produits, du simple transfert de liquidités aux cas d'usage complexes grâce aux seuls applications décentralisées et smart contracts.

Mieux encore, le rapport considère que :

« La DeFi offre les mêmes bénéfices que la technologie blockchain sur laquelle elle est construite, à savoir la désintermédiation, une disponibilité à toute heure et une résistance à la censure. »

Avec l'émergence des MNBC et des stablecoins, sur lesquels nous reviendrons par ailleurs, on pourrait voir les frontières se réduire entre la finance traditionnelle et la DeFi. Or, sans la rejeter, cette éventualité ne rassure pas pour autant l'ESMA. En effet, un avis totalement positif n'aurait pas été possible de la part de l'agence européenne.

Si l'innovation est appréciée, la DeFi reste crainte par l'ESMA

Si l'ESMA est plutôt positive envers la finance décentralisée, l'autorité estime néanmoins qu'elle présente les mêmes risques que la blockchain concernant la résilience, la scalabilité et la sacro-sainte gouvernance. On sait que la gouvernance est une donnée vitale pour le système financier qui souhaite conserver un contrôle effectif sur tout ce qui touche à la monnaie.

Or, telle qu'elle est construite, la DeFi empêche cela, ce qui n'est pas du goût de l'ESMA. Pour cette dernière, notamment chargée de maintenir la stabilité financière, une innovation comme la DeFi est aussi bien révolutionnaire que dangereuse.

Le dernier paragraphe consacré à la finance décentralisée est sans équivoque :

« Bien que la taille du marché de la DeFi ne soit pas encore assez importante pour être considérée comme un risque pour la stabilité financière, il n'en reste pas moins que les régulateurs et les autorités de surveillance doivent suivre de manière précise son développement et analyser ses activités [...]. Dans ce contexte, l'ESMA continuera de suivre le développement de la DeFi, ce qui pourrait nous amener vers une régulation spécifique et un début de réponse à la problématique de la surveillance. »

L'avis de l'ESMA sur la DeFi semble donc ambivalent. D'un côté, c'est une innovation et il ne faut pas empêcher son développement ; d'un autre côté, un marché trop important pourrait menacer la stabilité financière et il faut donc la réguler de manière spécifique. On en revient de fait à la notion d'absence de contrôle, qui inquiète toujours les autorités.

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Cryptomonnaies : l'ESMA se préoccupe de la question environnementale

Le côté positif des actifs numériques est mis en retrait par rapport aux aspects négatifs, ce qui n'est pas étonnant venant d'une institution chargée de faire perdurer le système financier. Bien entendu, la question environnementale, l'argument principal des opposants aux cryptomonnaies, ne pouvait être laissée de côté par l'ESMA.

Selon le rapport, la finance durable se développe en Europe. Le rapport précise notamment qu'il y a une croissance de 20 % des fonds liés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), qui est une contribution aux enjeux de développement durable. En outre, on note également une augmentation de 40 % des titres de créance liés à ce même développement durable.

Derrière ce terme de finance durable se cachent de nombreux points de discussion voire de rupture. Par essence, la finance consomme de l'énergie et ne peut donc être durable. En outre, il peut s'agir de fonds spéculatifs et d'une neutralité carbone par financement de projets et non pas d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre. En un mot, on est plus dans le greenwashing que dans la protection de l'environnement.

On ne sera donc pas étonné de l'inquiétude de l'ESMA envers certains protocoles de DLT. Plus particulièrement, c'est le minage qui est dans le viseur de l'agence européenne. Cette dernière se permet même une comparaison entre le réseau Bitcoin et la pression mise sur les leaders mondiaux et les grandes institutions pour lutter contre le changement climatique.

Reconnaissant que les estimations sur l'empreinte carbone des cryptomonnaies sont variables, elles sont néanmoins « loin d'être négligeables ». Selon l'ESMA, les conséquences environnementales des cryptomonnaies, et plus particulièrement du minage, se doivent d'être atténuées par la régulation. En d'autres termes, le rapport sous-entend que la solution ne peut venir de la sphère des actifs numériques et qu'il faut donc réguler au plus vite.

L'ESMA propose certaines solutions pour améliorer la sphère des cryptomonnaies

Dans le secteur des cryptomonnaies, discuter sur les chiffres, les estimations, la source d'énergie ou encore sur la différence entre consommation et pollution n'a plus de sens tant le débat est partisan.

On va néanmoins conclure ce sujet sur une note plus positive, ou moins négative, c'est selon. Le rapport de l'ESMA essaie d'apporter des solutions, comme l'abandon du consensus proof-of-work (PoW) et encourager l'utilisation d'énergies renouvelables.

Si l'abandon du PoW par le protocole Bitcoin semble impossible, l'utilisation d'énergies renouvelables est en revanche une réalité qui n'est malheureusement pas assez mise en avant par les grands médias qui préfèrent tacler le réseau Bitcoin.

En outre, c'est oublier que la PoW est un consensus de moins en moins utilisé, pour ne pas dire plus du tout, par les nouveaux projets

💡 Sur le même sujet – Comment le Bitcoin (BTC) permet-il de développer l'énergie verte et renouvelable ?

La volatilité et les stablecoins, problèmes majeurs des cryptomonnaies selon l'ESMA

Tout investisseur dans les crypto-actifs le sait ou se doit de le savoir : ce sont des actifs très volatils. Une hausse ou une perte de 20 % au cours de la même journée n'est pas quelque chose de rare. Sans surprise, ce point négatif est donc cité par l'ESMA, ainsi que le manque de cadre juridique. Il n'est alors pas utile de revenir sur ces points.

En revanche, un focus particulier est mis sur les stablecoins, ce qui n'est pas sans rappeler la proposition de règlement MiCa. Souvent opposés aux MNBC centralisées, les stablecoins présentent un double problème pour une autorité de régulation comme l'ESMA. En plus de subir les difficultés supposées et précitées des autres cryptomonnaies, ils ont aussi la « prétention de remplacer » une monnaie fiduciaire.

Ainsi, une adoption massive des stablecoins pourrait engendrer un impact bien plus fort sur le système financier et, ipso facto, ils doivent être examinés à la loupe par les régulateurs, notamment concernant leur fonctionnement.

Depuis quelques semaines, les émetteurs de stablecoins tentent de montrer patte blanche. Tether (USDT) a ainsi démontré comment ses coins étaient garantis et Circle, émetteur de l'USD Coin (USDC), a rendu publique sa composition.

Or, la transparence de Tether n'a pas été du goût de tous puisque 49 % de ses réserves provenaient de titres de créance négociables. Dernièrement, c'est Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), qui est revenue à la charge, estimant que les stablecoins prétendaient être des monnaies alors qu'elles sont en réalité des actifs.

Qu'en conclure ? Probablement que les MNBC, émises par des banques centrales, ont bien plus de crédit aux yeux de l'ESMA que les stablecoins, qui semblent être les concurrents ultimes. On pense notamment à l'euro numérique, actuellement en phase de test.

Conclusion

En résumé, ce rapport ne nous apprend pas grand-chose de nouveau sur les craintes classiques des régulateurs financiers par rapport aux cryptomonnaies (danger pour la stabilité financière, environnement). Il confirme néanmoins le focus des régulateurs européens sur les stablecoins et est étonnamment positif sur la DeFi.

Nous verrons dans les prochains mois si ce rapport sera suivi d’effets, à savoir une régulation allant dans le sens des propositions timidement émises par l'ESMA.

? À lire – Les Européens souhaitent que les cryptomonnaies soient régulées par les États, et pas l’UE

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