Les marchés prédictifs comme Polymarket vont-ils vraiment devenir des contre-pouvoirs ?

L’élection américaine qui vient de porter Donald Trump à la maison blanche a été marquée par un phénomène particulier : l’explosion des marchés prédictifs, notamment à travers le succès de la plateforme Polymarket. Si cette pratique n’est pas récente, la crypto et la blockchain lui ont donné une nouvelle dimension. Pour le meilleur et pour le pire.

Les marchés prédictifs comme Polymarket vont-ils vraiment devenir des contre-pouvoirs ?

Assistons-nous à la renaissance des paris prédictifs grâce aux élections américaines ?

Mercredi 6 novembre, 2 heures du matin. Aux États-Unis, c’est l’explosion de joie. L’élection américaine vient de se conclure, après des semaines haletantes. Et pendant que les citoyens américains choisissaient leur président, le reste du monde faisait des paris.

À travers de nouvelles plateformes comme Polymarket et Kalshi, les investisseurs pariaient sur la victoire de Donald Trump ou de Kamala Harris. Si ces sites sont récents, l’idée l’est moins. Les premières traces de paris politiques, aussi appelés paris prédictifs, remontent au début du XVIe siècle.

Pour certains, ces paris ne sont que des jeux d’argent. Pour d'autres, ils représentent un véritable outil politique et social, qui pourrait bien avoir trouvé une nouvelle jeunesse grâce à l’essor des cryptomonnaies et de la blockchain.

Les paris prédictifs sont-ils un véritable contre-pouvoir ou ne sont-ils que le dernier casino crypto à la mode ?

🎥 Retrouvez notre analyse des marchés prédictifs en vidéo :

Les paris prédictifs existent depuis longtemps

Rome, 1503. Le Pape Alexandre VI est mort, et les cardinaux doivent élire son successeur dans un contexte tendu. Les armées françaises, espagnoles et italiennes entourent la ville et tout le monde attend le nom du nouveau chef de l’église catholique. C’est le plus gros conclave de l’histoire à l’époque, et c’est aussi la trace la plus ancienne que nous ayons de paris politiques, ou paris prédictifs.

Dans l’Italie de la Renaissance, les paris prédictifs sont monnaies courantes. D’autant plus quand ils concernent des personnages importants, et dans des périodes de tensions. On pariait aussi bien sur le nom du futur Pape que sur sa date de décès. À chaque conclave, la fièvre du jeu s’emparait de Rome.

Les cardinaux qui doivent élire le Pape s’associent avec des marchands pour miser sur la durée du conclave. Au lieu de voter, ils font durer l’élection le plus longtemps, pour s’enrichir. À cause de ces dérives, le Pape Grégoire XIV interdira les paris prédictifs en mars 1591, sous peine d'excommunion.

Les paris politiques vont pourtant survivre. Ces prédictions sont parfois louées pour leur exactitude. Mais il arrive aussi qu’elles se trompent largement. Cependant, à une époque où les sondages n’existent pas, elles sont très appréciées de la presse et du grand public.

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Histoire des paris prédictifs aux États-Unis

New-York, 1844. Les citoyens américains doivent choisir entre James K. Polk et Henry Clay. L’enjeu est l’annexion de la République du Texas, une décision qui pourrait bouleverser l’équilibre politique du pays et attiser de vives tensions internationales, notamment avec le Royaume-Uni, qui possède encore le Canada.

Tous les coups sont permis au cours de cette campagne, et les paris politiques atteignent des records : à New York, plus de 6 millions de dollars changent de mains. Ce qui équivaut aujourd’hui à 252 millions de dollars.

Cette fièvre des paris trouve surtout son écho dans la presse. Les journaux sont utilisés pour relayer d’immenses mises, parfois fausses, et pour défier le camp adverse. Tous les jours, on publie les cotes des candidats et le montant des mises. Sans les médias, les paris prédictifs n’auraient pas eu de pouvoir.

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Nombre d'articles sur les paris entourant les élections publiés dans la presse entre 1800 et 1860 aux États-Unis

 

On voit que le nombre d’articles relayant les paris politiques explose lors des élections de 1840 et 1844. C’est aussi le point culminant des abus et des critiques à leur égard.

Les perdants de l’élection de 1840 accusent « l’or britannique » de « gonfler artificiellement les paris et d’acheter les votes. ». Quatre ans plus tard, en 1844, les vaincus reprochent à ceux d’en face d’avoir « commis des fraudes en utilisant les gains des paris pour payer les frais de campagne. »

Afin de répondre à cette escalade, en 1845, le gouverneur de New-York, Silas Wright, réclame à grands cris l’interdiction des paris prédictifs. Selon lui, leur « explosion rapide » est responsable de « comportements avides, égoïstes et corrompus lors des élections.»

Ce dernier, bien qu’issu du camp de vainqueurs, veut que les paris politiques soient considérés comme des crimes. Il n’est pas le seul : des mouvements religieux sont farouchement opposés à cette pratique. Enfin, la cour suprême de l'Illinois a invalidé certains paris parce qu’ils étaient « contraires aux politiques publiques et aux intérêts de la Nation.

À cette période, il est communément admis que les paris politiques servent à « acheter des voix ».

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La difficile tâche de remplacer les paris prédictifs

Au début du XXe siècle, les paris tombent en disgrâce. Jugés immoraux et considérés comme la source de nombreux problèmes, ils échouent surtout à remplir leur mission : anticiper le résultat des élections. Une autre alternative commence à se développer : des straw pools (littéralement : vote de paille). Il s’agit de sondages d’opinion réalisés par les journaux auprès de leurs lecteurs.

Un journal en particulier, le Literary Digest, va moderniser cette méthode. Cet hebdomadaire s’appuie sur les annuaires téléphoniques et les registres d’immatriculation pour récupérer les coordonnées de millions d’américains. Grâce à cet immense échantillon, le Literary Digest arrive à prédire avec justesse le résultat des 5 élections présidentielles de 1916 à 1932.

Mais cette méthode a ses limites. Contacter des millions d’américains coûte de l’argent, et les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Lors de l’élection de 1936, Literary Digest se trompe largement en donnant Alfred Landon vainqueur, alors que Franklin Roosevelt devient président.

Face au Literary Digest, un institut a réussi à prédire l’élection de Franklin Roosevelt : le American Institute of Public Opinion, fondé par George Gallup en 1935. Il s’agit du premier institut de sondage scientifique au monde.

Cette méthode permet d’avoir des résultats justes, de produire des sondages rapidement et à moindre frais. Rapidement, les journaux comme le Washington Post et le New-York Times s’abonnent aux chiffres publiés par ces instituts. Les articles qui relayent les sondages de pailles et les mises des paris prédictifs sont remplacés par les résultats des sondages scientifiques.

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Ces tableaux représentent le nombre d'articles publiés par le New York Times et Washington Post. Chaque colonne représente un type de « prédiction » : de gauche à droite : les sondages scientifiques de l’Institut Gallup, les sondages d’opinion du Literary Digest, les paris prédictifs, et les cotes des paris à la bourse de Wall Street.

 

Finalement, en 1940, les paris prédictifs disparaissent totalement des États-Unis. Les journaux ne relaient plus les mises des parieurs, et le gouvernement finit par les rendre réellement illégaux. À la place, les paris sur les courses de chevaux sont autorisés, et les sondages scientifiques abreuvent les médias d’informations de qualité.

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Paris prédictifs ou sondages scientifiques, ce sont les médias qui décident

Le choix des médias. Quand les journaux décident d’abandonner un type de prédiction, il disparaît rapidement, que ce soient les sondages d’opinion du Literary Digest ou le montant des mises enregistrées à Wall Street.

Mais les médias n’ont jamais désavoué les sondages scientifiques. Leur soutien est sans faille pendant la seconde moitié du XXe siècle. Les sondages font désormais partie intégrante du processus démocratique. En France, leur nombre explose. Pour les élections présidentielles, on passe d’une centaine en 1981 à plus de 500, 40 ans plus tard. En cause, la fragmentation de la vie politique, et l’intensité du matraquage médiatique.

Avec Internet, les choses accélèrent encore. Mais c’est aussi l’occasion pour les paris prédictifs de refaire surface. Plus besoin d’être membre d’un club privé à Londres pour miser de l’argent sur les élections : vous pouvez désormais le faire depuis votre salon.

La plateforme InTrade naît en 1999. Elle va connaître un grand nombre de polémiques, jusqu’à la mort de son PDG, John Delaney, au cours de l'ascension du mont Everest en 2011. Cette plateforme permettait aux internautes de miser sur tout, des élections américaines aux lancements de missiles balistiques par la Corée du Nord.

InTrade connaît un succès majeur lors de l’élection présidentielle américaine de 2012 opposant Mitt Romney à Barack Obama. Le site comptabilise plus de 50 millions de visiteurs par mois, et le volume des échanges dépasse les 200 millions de dollars. Un important coup de projecteur médiatique, qui attire également l’attention des régulateurs. Finalement, InTrade sera définitivement fermée le 31 décembre 2014.

Mais la presse est conquise. Bien que le succès soit de courte durée, plusieurs centaines d’articles font le relai des mises enregistrées sur InTrade. Les médias sont déjà en train de renouer avec leurs vieux réflexes de 1844.

Perte de confiance dans les médias

Novembre 2017, Trump Tower, New-York. Donald Trump assène à des journalistes de CNN « You are Fake News ». La phrase est devenue célèbre. Depuis l’arrivée massive des réseaux sociaux et de l’information ultra-rapide, les fake news font partie de notre quotidien. Les médias ont développé des rubriques « fact-checking » et sur X (Twitter), les community notes permettent d’apporter des corrections aux  publications trompeuses.

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Donald Trump lance son légendaire « You are fake news ! »

 

Ces éléments sont symptomatiques. Ils traduisent une perte de confiance généralisée, qu’on retrouve aussi bien dans l’abstention aux élections qu’à l’augmentation du nombre de « complotistes ».

Les médias prennent de plein fouet cette vague de défiance. On peut trouver beaucoup de raisons pour l’expliquer : scandales à répétition, manque de pluralité, sentiment d’être sous-représenté ou invisibilisé. Ce qui est sûr, c’est que les effets sont réels.

confiance médias américains

Crise de confiance dans les médias : aux États-Unis, seulement 31 % de la population a pleinement confiance dans les médias de masse, face à 36 % qui n’ont aucune confiance. Chiffres de l’institut Gallup (premier institut de sondage au monde !)

 

L’appareil médiatique ne remplissant plus son rôle, les médias « alternatifs » montent en flèches. Des créateurs de contenu indépendants, armés d’une caméra et d’un ordinateur, publient leurs vidéos sur YouTube ou sur les réseaux sociaux. Pas de langue de bois, pas de tabous, et pas de rigueur journalistique.

Si certains se perdent dans des discours absurdes, comme celui de la Terre plate, d’autres deviennent de vrais médias, avec parfois des chiffres d'audience supérieurs à ceux des chaînes télévisées mainstreams.

confiance médias actualité

La confiance s’érode aussi en France. Plus de la moitié des français se méfient des médias. 

 

Quitte à se méfier de tous les médias, les utilisateurs peuvent au moins écouter un discours qui va dans leur sens, et qui leur parle. Les crises politiques, comme celle du Covid-19, les problèmes de communication de la classe politique et les scandales révélés par les lanceurs d’alertes ont sans doute joué un rôle prépondérant dans cette crise.

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La rivalité entre les sondages et les paris prédictifs

Longtemps considérés comme un contre-pouvoir au service du peuple, les médias sont désormais vus comme des outils de propagande au service des puissants.

L’alternative ? Les réseaux sociaux, X en tête, où la parole est « libre ». Bien sûr, on peut relativiser cette liberté : la plateforme appartient à un milliardaire qui l’utilise comme bon lui semble, avec des conditions d’utilisation opaques sur lesquelles les utilisateurs n’ont pas leur mot à dire.

Mais le mal est fait. Par une certaine incompétence, les médias ont perdu leur statut de source fiable. Désormais, ils sont au même rang que n’importe quelle chaîne YouTube. Et dans leur chute, ils ont entraîné les sondages scientifiques.

Rarement, la justesse des sondages avait été remise en question. Les instituts se reposent sur la science, les statistiques. En réalité, la méthode n’a pas grand-chose de scientifique. Il s’agit plutôt d’un « bricolage ». On utilise les sciences dures, les mathématiques, et on introduit des données issues de sciences « molles », les sciences sociales, comme l’économie ou la sociologie.

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Ces domaines d’études ne sont pas meilleurs ou moins bien, ils sont différents. Et la rigueur scientifique ne s’applique pas de la même manière.

Par exemple, pour que les statistiques puissent s’appliquer, on suppose qu’il existe des groupes de population où l’opinion est répartie homogènement. Ce qui est faux. Alors, pour compenser, on ajoute des coefficients. Chaque ajustement éloigne les sondages de la rigueur scientifique.

Une méthode approximative, soutenue par un 4e pouvoir en désaveu. Le duo « sondage scientifique – grand groupe de presse » est en crise. En face, un rival prend de l’ampleur,  formé d’une part des réseaux sociaux et des médias alternatifs, et d’autre part des sondages d’opinion et des paris prédictifs.

Les sondages d’opinion reviennent à la mode, bien que ce soient les méthodes prédictives les moins objectives. Par exemple, Elon Musk les utilise abondamment sur X. Son compte est suivi par plus de 205 millions de personnes, si bien que lorsqu’il publie un sondage, il récole facilement plusieurs millions de votes.

Bien que ces chiffres soient impressionnants, il s’agit des personnes qui suivent Elon Musk, ou qui sont sur X. C’est donc un échantillon qui n’est pas représentatif de la société. Mais le nombre imposant de vote suffit à persuader les gens du contraire.

Cependant, peu de gens accordent de l’importance aux sondages d’opinion. La nouvelle méthode en vogue, ce sont les paris prédictifs.

La naissance d’un vrai contre-pouvoir ?

Lors de l’élection de Donald Trump, le 5 novembre 2024, les paris prédictifs ont littéralement explosé. Leur succès n’a fait que croître pendant la campagne. Les utilisateurs pouvaient voter pour le vainqueur, mais aussi pour deviner le nombre de fois où Donald Trump allait dire la phrase « illegal alien » lors d’un débat.

Au soir de l’élection, plus de 3 milliards de dollars étaient misés sur la principale plateforme de paris décentralisée, Polymarket. Et contrairement aux sondages des médias mainstream, les paris prédictifs relayés par les réseaux sociaux donnaient largement Donald Trump vainqueur.

Ce qui a tué les paris prédictifs et les sondages d’opinion en 1936, ce sont les erreurs de prédictions. Aussitôt, les médias ont abandonnés ces méthodes « archaïques » pour les sondages scientifiques modernes. Les erreurs de prédictions vont-elles, elles aussi, tuer les sondages ?

Elon Musk X media

Elon Musk, le soir des élections, s’adresse à ses sujets.

 

Plutôt que de simplement remplacer les sondages, les paris prédictifs et les plateformes qui les publient pourraient directement remplacer les médias. Une idée qu’on retrouve à différents niveaux, aussi bien dans la rhétorique d’Elon Musk que sur le blog de Vitalik Buterin, cofondateur de la célèbre blockchain Ethereum.

Elon Musk tweet satirique

Un tweet repartagé par Elon Musk jouant sur la crise de confiance des médias.

 

Un objectif ambitieux, mais irréalisable actuellement.

Les défauts actuels des plateformes de paris prédictifs

Les médias traditionnels et les sondages sont biaisés, c’est là leur moindre défaut. On peut également leur reprocher d’être centralisés. En France, la plupart des grands médias « qui font l’opinion » dépendent d’intérêts industriels ou financiers.

Mais quid des réseaux sociaux ? X appartient à Elon Musk, tandis que Meta et ses 7,75 milliards d’utilisateurs cumulés (Facebook, Instagram, WhatsApp, Threads, etc) sont tenus d’une main de fer par Mark Zuckerberg.

Les plateformes de paris prédictifs souffrent également de leur centralisation. Si on veut censurer une plateforme, on peut la museler par des procès ou mettre ses fondateurs en prison. Kalshi est poursuivie par la CFTC devant les tribunaux new-yorkais. Et le domicile du fondateur de Polymarket a été perquisitionné par le FBI à la suite des élections.

Contrairement à un protocole comme le Bitcoin, anonyme et décentralisé, les plateformes de paris prédictifs dans leur forme actuelle ne peuvent pas devenir des contre-pouvoirs.

De plus, la justesse des paris et de la « sagesse populaire » sont à prendre avec précaution. En dehors du fait que les paris et les jeux d’argent ne sont pas réputés pour faire appel au bon sens ni à la mesure, ces plateformes peuvent facilement être influencées par des acteurs puissants et fortunés.

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Enfin, les résultats des « prédictions » influencent les votes, c’est un fait. Et cela, qu’ils soient issues des sondages scientifiques, des sondages d’opinion ou bien des paris prédictifs.

Cependant, parmi toutes ces méthodes, celle des paris prédictifs est la seule à ne posséder aucun moyen pour corriger les éventuelles erreurs. Ils sont faciles à manipuler, et ne possèdent aucun outil de contrôle ou d’affinage des résultats.

Ces 3 points, la centralisation, l’exposition aux influences et l’absence de contrôle, font que les paris prédictifs sont un divertissement et non un contre-pouvoir. La bonne nouvelle, c’est que ces points peuvent être améliorés.

Prenons exemple sur le Bitcoin. Ce n’était pas le premier projet de monnaie numérique décentralisée, ni le dernier. Mais c’est incontestablement le plus connu.

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Contrairement à de nombreux projets qui font la part belle aux créateurs, Bitcoin appartient à tout le monde. Il n’y a pas de créateur identifié, pas de personne à mettre en prison pour faire pression. Il n’y pas de serveur centralisés à arrêter. Les bitcoins de Satoshi Nakamoto n’ont pas été obtenus via une allocation préalable, mais simplement en minant, comme tout le monde.

Contrairement à 99 % des entreprises et des startups qui veulent changer le monde, Satoshi Nakamoto n’a pas mis comme condition préalable sa gloire et sa fortune personnelle.

Ce n’est pas exactement le cas de Shayne Coplan, PDG de Polymarket, qui multiplie les apparitions dans la presse et les prises de parole en public. Il y a fort à parier que l’entreprise connaîtra le même sort que ses ancêtres : finir aux oubliettes.

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Shayne Coplan sur un plateau télé

 

Car les plateformes de paris prédictifs souffrent toutes de la même maladie : la saisonnalité. Lorsqu'il y a des élections clivantes, comme ce fut le cas en 1503, en 1844 ou en 2024, les mises atteignent des montants records – 3,2 milliards de dollars pour les dernières présidentielles. Mais peu de temps après, l’intérêt disparaît.

En 1503 ou en 1844, aucune entreprise centralisée ne s’occupe des paris. Ce sont des marchands, des brokers, ou le New York Stock Exchange (NYSE). Lorsque les élections passent, ils reprennent leur activité normale. Mais les entreprises qui ont essayé de se spécialiser dans ce marché, elles, ont toutes disparu.

Polymarket ne semble pas faire exception. Après avoir enregistré sa journée la plus importante le 6 novembre, jour de l’élection, avec un volume de 367 million de dollars, la plateforme est tombé à 31 millions le 17 novembre, soit le plus bas depuis 2 mois. Entre les deux extrêmes, c’est une baisse de 91 %.

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Les volumes se sont effondrés sur Polymarket depuis les élections. 367 millions de dollars le 6 novembre, 33 millions le 19. 

 

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D’abord, les élections attirent les foules lorsque les sujets sont particulièrement clivants. Les petites élections régionales n’intéressent personne. Et pour qu’une plateforme de paris prédictifs fonctionne bien, il faut du volume. Sinon, les cotes des paris sont déséquilibrées et les parieurs ne peuvent pas empocher leurs gains.

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Les paris en tendance sur Polymarket, 14 jours après les élections

 

Ensuite, hors période électorale, les plateformes comme Polymarket et Kalshi tentent de se rattraper sur autre choses. Paris sportifs, prédictions sur le cours d’un actif en tendance, comme le Bitcoin, ou évènements géopolitique, comme l’envoi de missiles balistiques par la Corée du Nord.

Ce scénario s’est déjà produit sur TradeSports, une filiale d’InTrade, qui avait proposé un pari sur la capacité de la Corée du Nord à tirer un missile balistique capable d’atteindre l’espace avant le 31 juillet 2006. Ce que le pays a fait le 6 juillet 2006. Cependant, cette information, bien que confirmée par des agences gouvernementales, ne fut pas validée par le département de la Défense des États-Unis. Or, la condition pour que le pari soit validé, c’était un communiqué du Departement of Defense.

Ce genre de scandale, mêlant absence de liquidité et litige sur l’issue des résultats, éloigne souvent les utilisateurs. Et comme ces plateformes sont des entreprises, elles ne survivent pas à l’hiver. Si on ajoute à cela les poursuites légales auxquelles elles font face, leur durée de vie est souvent limitée. Elles perdent leurs clients, croulent sous les dettes, et finissent par se mettre en faillite.

C’est précisément le genre de défi qui attend les sites comme Polymarket et Kalshi au lendemain des élections.

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La blockchain, la solution pour faire des paris prédictifs des contre-pouvoirs

La blockchain a-t-elle réponse à tout ? Les paris prédictifs veulent devenir le nouveau média. Pour ça, il va falloir dépasser de nombreux problèmes : centralisation, risques de manipulation ou encore manque d’outil de contrôle. En plus de cela, elles devront également résoudre les problèmes structurels propres à une entreprise : régulation et survie en période creuse.

Heureusement, il semblerait que les innovations développées sur la blockchain soient en mesure de corriger ces différents problèmes.

Centralisation

Difficile de parler de blockchain ni de cryptomonnaie sans avoir le mot « décentralisé » en tête. C’est un des 3 principes fondamentaux du Web3. La centralisation, c’est le risque d’une prise de pouvoir d’un petit groupe d’individus au détriment de l’intérêt commun. C’est le risque de voir la tête du projet « coupée », ou soumise à des pressions, comme ce fut le cas avec Pavel Durov, le PDG de la messagerie privée Telegram.

On ne peut pas faire pression sur un réseau ou sur une plateforme s’ils sont décentralisés, à l’instar du Bitcoin ou d’un DEX. Bien sûr, pour le fondateur, cela signifie abandonner une partie de ses gains et de son pouvoir.

Risques de manipulation

Les whales manipulent les informations sur les plateformes de paris prédictifs, c’est un fait. Mais la blockchain apporte justement un moyen d’identifier les wallets. C’est comme cela qu’on a pu identifier la whale française qui a misé plusieurs dizaines de millions de dollars sur la victoire de Donald Trump.

Dans le futur, il serait envisageable de limiter la création de comptes à 1 par utilisateur sur présentation d’un SoulBound Token. Les transactions enregistrées sur la blockchain peuvent aussi permettre de faire des audits et de contrôler les flux financiers, pour enquêter sur d’éventuelles manipulations.

Absence d’outils de contrôle

Les outils de contrôle pour « lisser » les résultats, atténuer le bruit et avoir une représentation exacte de la réalité sont nécessaires. Mais ils n’existent pas sur les plateformes de paris prédictifs.

Avec des plateformes de paris prédictifs décentralisées, on pourrait imaginer un système d’organisation autonome décentralisée (DAO) pour implémenter des outils de contrôle, du même type que ceux qu’on retrouve sur les sondages.

Car les biais des paris prédictifs sont nombreux :

  • Mauvaise représentativité de l’échantillon ;
  • Biais des joueurs (jouer l’outsider, jouer le favoris) ;
  • Maximisation de l'espérance des gains ;
  • Etc.

Avec des outils de contrôle adéquats, les résultats des paris prédictifs pourraient gagner le même crédit scientifique qui est réservé aux sondages. Et faire taire les critiques.

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Échapper à la réglementation

Une plateforme décentralisée et sans tête, c’est aussi une plateforme qui ne peut pas être fermée par le FBI, qui ne peut pas être poursuivie par la CFTC ou la SEC. C’est une plateforme qui est résistante à la censure étatique.

Les régulateurs utilisent la loi pour fermer ces plateformes. En 1591 par exemple, le Pape utilisait la religion pour y parvenir. Nous avons contacté Paul W. Rhode, historien américain, afin de mieux comprendre le sujet. Selon lui, il n’y a « aucune raison pour que les pouvoirs en place aient beaucoup d’affection pour les paris prédictifs. Les élus sont parfois neutres à leur égard, mais le plus souvent, ils les considèrent comme une nuisance. »

Être plus résilient qu’une entreprise classique

Les protocoles décentralisés ne sont pas des entreprises. Tant qu’il y a un utilisateur, le protocole peut fonctionner. Le volume risque de retomber hors période de fort clivage politique, mais le protocole ne sera pas mort pour autant. Et lors des prochaines élections, il sera prêt à recevoir l’afflux d’utilisateurs.

Source d’information diversifiée et autonome

Enfin, nous l’avons vu pour InTrade, les sources d’informations peuvent faire qu’un pari est gagné ou perdu, comme dans le cas des missiles balistiques nord-coréens. La blockchain possède des outils pour extraire des informations du monde réel, comme les oracles, et la technologie de Chainlink.

Ce ne sont que des exemples de ce qui faisable avec la blockchain pour construire réellement et durablement des plateformes de paris prédictifs qui puissent être scalables, décentralisées et imperméables à la censure. En d’autres termes, les vrais contre-pouvoirs que ces plateformes commerciales prétendent être.

Les paris prédictifs sont-ils des contre-pouvoirs ?

Les paris prédictifs sont vieux comme le monde, mais ils n’ont jamais vraiment réussi à rayonner. Interdits par les églises, jugés immoraux, rendus illégaux, les gens au pouvoir n’apprécient pas vraiment ces prédictions qui ont une fâcheuse tendance à influencer l’avenir.

Avec l’arrivée d’Internet, les paris politiques ont refait surface, timidement. Ils sont rapidement retournés sous terre. En 2024, les États possèdent des outils pour contrôler un site web. On se rappelle de Megaupload, ou de Silk Road, fermés en grande pompe par le FBI. Plus récemment, on peut évoquer le destin de Telegram, dont le PDG a fait un séjour en garde-à-vue en France.

En revanche, aucun tribunal, aucune prison ni aucun pays ne peut arrêter le Bitcoin. Parce qu’il n’appartient à personne, parce qu’il n’est pas centralisé. Seulement, pour créer un outil aussi puissant, il faut faire des sacrifices. Renoncer à la gloire, renoncer à la fortune. Reste-t-il encore un Satoshi Nakamoto dans le monde ?

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Source : Dune

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