Interview du créateur du Lightning Network : « Bitcoin doit pouvoir fonctionner même quand il est jugé illégal »
Le Lightning Network a vu son adoption exploser ces dernières années, en particulier depuis que le Salvador en a fait un des piliers de l’adoption officielle du Bitcoin (BTC). Nous avons interrogé le cocréateur de cette solution de scalabilité, Thaddeus Dryja, afin d’avoir ses perspectives sur l’évolution du projet et son futur.
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Qui est Thaddeus Dryja ?
Thaddeus « Thade » Dryja est un des coauteurs du whitepaper du Lightning Network, la solution de scalabilité de Bitcoin (BTC). Le développeur a travaillé au MIT, où il a rejoint la Digital Currency Initiative. Il est actuellement employé par Lightsparks, une entreprise qui souhaite étendre les capacités et l’utilité du réseau Bitcoin et du Lightning Network.
Cryptoast l’a interrogé sur l’adoption de cette solution, et sur l’avenir de Lightning à l’heure où la scalabilité est la préoccupation principale de nombreux acteurs de l’écosystème.
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Cryptoast : Le Salvador montre que le Lightning Network a pu être adopté à une échelle plus grande. Qu’est-ce qui selon vous représente des limitations pour une adoption plus grande du LN ?
Thaddeus Dryja : Dans le cas du Salvador, je pense que c’est partiellement dû à l’interface utilisateur. Je suis allé au Salvador en novembre dernier, et je me suis senti un peu décontenancé. D’un côté, j’apprécie que les gens utilisent Bitcoin, et de l’autre, je garde bien en tête qu’il s’agit quand même d’un gouvernement qui dit à son peuple d’utiliser le Bitcoin. Il y a quelque chose qui s’oppose fondamentalement à l’idée de la cryptomonnaie. Au fond, est-ce qu’on est amis avec ce gouvernement ? Je ne sais pas. Peut-être que non.
Au Salvador, si l’on observe la manière dont le Lightning Network est utilisé, c’est soit des wallets très « custodial », où les personnes n’ont pas leurs propres clés, ou des solutions où il n’est pas clair s’il y a effectivement des clés. On ne sait pas si c’est réellement Bitcoin et Lightning qui sous-tendent la solution. Le wallet du gouvernement [Chivo, ndlr] est un logiciel qui n’est pas ouvert du tout – peut-être qu’il est open source maintenant ?
Il me semble qu’il n’est toujours pas open source.
Donc pour moi, cela ne compte pas vraiment comme faisant partie de Bitcoin ou de Lightning. Peut-être que [Chivo] utilise effectivement Bitcoin en coulisses, ou peut-être qu’il est connecté à un serveur qui utilise lui-même Bitcoin. Au final, ça n’est pas beaucoup mieux que si on disait « Oh, j’ai un portefeuille Bitcoin, ça s’appelle Coinbase. ». C’est simplement un compte sur une plateforme d’échange. Vous n’avez pas réellement de clés, vous demandez juste à un serveur de faire quelque chose pour vous. Dans le cas du Salvador, c’est encore pire, parce que c’est le gouvernement qui le fait pour vous. Quand j’y étais, je me demandais : « Mais qui a toutes ces clés ? ».
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N’y a-t-il pas aussi un problème d’éducation ?
Oui. La plupart des gens ne savent pas ce qu’il en retourne, ou bien cela ne les intéresse pas. On leur dit « Voilà un wallet, il fonctionne, utilisez-le ». La question de la détention des clés n’est pas du tout évidente pour la majorité du grand public. S’ils débutent juste, ils peuvent se dire que ce n’est pas très important d’avoir ses propres clés.
C’est un problème que Bitcoin a. On dit à des personnes « Voici une monnaie décentralisée, qu’on peut envoyer très facilement ». Et ils se disent : « Pourquoi j’en aurais besoin ? ».
Oui, assurément. Et cela crée parfois une tension intéressante entre les développeurs et les utilisateurs. Les développeurs de Bitcoin ont parfois une idée très différente de ce qu’ils souhaitent faire, par rapport aux utilisateurs. Par exemple, si l’on regarde le Github de Bitcoin Core, il est arrivé plusieurs fois que des personnes proposent de créer un index d’adresses qui soit construit dans Bitcoin Core. Au final, les développeurs refusent que cela soit intégré à Bitcoin Core, car cela promeut selon eux de mauvais usages.
C’est intéressant parce que d’un côté il y a cette idée de liberté – n’importe qui peut contribuer et écrire ce qu’il veut – mais de l’autre on a des personnes qui disent « Ce n’est pas la manière dont Bitcoin devrait être utilisé ». C’est compliqué. Parce qu’on ne souhaite pas encourager ce type d’usages, mais d’un autre côté, si l’on est complètement déconnecté de ce que la majorité des utilisateurs souhaite, alors ceux-ci n’utiliseront pas le logiciel.
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Acheter des cryptos sur eToroL’équilibre est très difficile à trouver.
Oui c’est difficile, et je pense que l’éducation est très importante. Par exemple, mon père n’a pas acheté de Bitcoin pendant des années, parce qu’il disait qu’il ne comprenait pas comment cela fonctionnait. Mais quand il est arrivé à la retraite, il a commencé à me poser des questions très pointues, car il avait beaucoup lu sur le sujet. Je pense en tout cas que Bitcoin est plus accessible maintenant que lorsque j’ai commencé. Il y a beaucoup de documentation et de cours, etc. Mais cela reste quand même quelque chose de compliqué.
Il s’agit d’aller à contresens de l’idée qu’une monnaie venant du gouvernement est toujours sécurisée, toujours stable, etc. C’est une question d’éducation au sens large, pas seulement centrée sur les cryptomonnaies.
Oui, et c’est assez ironique. Aux États-Unis, et probablement dans la zone européenne aussi, nous bénéficions d’un système assez efficace. Les banques ne s’effondrent pas régulièrement en perdant tout l’argent de leurs clients. Certes, il y a plus d’inflation aujourd’hui, mais au cours des années d’existence précédentes de Bitcoin, cela n’était pas vraiment le cas. On peut donc entendre que des personnes considèrent que Bitcoin ne répond pas à un besoin réel. C’est intéressant, parce que l’endroit où il y a le plus d’intérêt pour les cryptomonnaies – les États-Unis – n’est pas l’endroit où le besoin est le plus fort. L’idée que Bitcoin soit libre de toute influence des gouvernements est extrêmement puissante, mais paradoxalement ça n’est pas nécessairement un argument de vente qui parle aux gens. Ça prend donc du temps.
👉 Découvrez aussi – Quels sont les pays ayant réalisé le plus de gains en cryptomonnaies en 2021 ?
Créer un compte sur Bitpanda pour acheter des cryptos facilement 🐼En ce qui concerne la décentralisation du Lightning Network, on a vu avec l’affaire Tornado Cash que des mineurs d’Ethereum avaient décidé de ne pas valider certaines transactions. Est-ce que vous pensez qu’il existe un risque de centralisation similaire avec le Lightning Network ?
Lightning pourrait avoir des problèmes similaires, mais je ne pense pas que cela soit trop grave. Étant donné que Lightning n’est pas un système de consensus, on peut avoir des implémentations logicielles différentes. Par exemple, si Eclair et LND n’opèrent pas de la même manière, cela ne pose en général pas de problème.
C’est un peu comme des problématiques de compatibilité entre navigateurs. Si certaines fonctionnalités diffèrent, cela ne casse pas le réseau. Pour Ethereum, la crainte est que le passage à la preuve d’enjeu ne rende ce problème plus prégnant. Dans le cas de Lightning, s’il y a des nœuds qui décident de n’approuver que les transactions d’une liste approuvée – par un gouvernement par exemple – on peut décider de créer d’autres canaux. Ce n’est pas quelque chose que je souhaite, mais cela peut arriver. On aurait alors d’un côté un réseau « approuvé » par le gouvernement et de l'autre un réseau anonyme, et tous deux pourraient avoir une certaine interopérabilité.
Si un gouvernement décidait qu’il était illégal d’utiliser le Lightning Network, alors beaucoup moins de personnes l’utiliseraient. Mais en même temps, Bitcoin doit pouvoir fonctionner même quand il est jugé illégal, et c’est aussi le cas de Lightning. Pour moi, c’est le but final.
C’est tout l’intérêt de Bitcoin.
Oui, mais ça peut paraître étrange de le dire comme ça. Je le dis ici, et c’est entendable, mais parfois dans mon travail ou avec d’autres personnes on ne se concentre pas trop sur ce sujet, parce qu’elles considèrent que le système ne devrait pas fonctionner s’il est jugé illégal. Au final, nous souhaitons bien sûr que le Lightning Network soit légal. Nous avons été encouragés ces dernières années par l’attitude générale des gouvernements, qui n’ont globalement pas souhaité rendre Bitcoin illégal. Ils ne souhaitent pas toujours qu’il y ait trop d’anonymat, mais globalement la cryptomonnaie est acceptée.
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Parlons un peu de RGB. Il s’agit de ce que certains appellent un « layer 3 ». Son but est de construire des smart contracts au-dessus du Lightning Network. Pensez-vous que cela fait partie du Lightning Network ?
Je pense qu’il y a des idées intéressantes, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un système complètement opérationnel à ce stade. Je ne sais pas s’il faut considérer que ce sont des smart contracts, ou simplement des tokens. Je pense qu’il y a d’un côté des smart contracts qui utilisent des oracles, et l’on règle une somme en Bitcoin en utilisant un prix externe. Dans le cas de RGB, je vois plus cela comme un token qui représenterait un dollar. Une sorte de stablecoin qui est adossé par une entité détenant elle-même des dollars. C’est un montant en dollars stable qui correspondrait à du Bitcoin.
Cryptoast Academy : 75% de réduction avant le Black Friday pour fêter le bullrunIl y a une tendance actuelle des cryptomonnaies à se dire « Tout doit être programmable ». Mais Bitcoin a réussi à se faire une place sans cela pendant toutes ces années. Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’avoir des solutions telles que RGB ?
Je souhaiterais que le Bitcoin devienne plus programmable. Je pense que cela serait utile. Mais à cause de la place prédominante d’autres réseaux comme Ethereum ou Solana, etc. en ce qui concerne les smart contracts, il n’y a pas eu la même tendance chez Bitcoin.
Peut-être que c’est au final une bonne chose pour Bitcoin. On peut en effet voir ce qui est implémenté et déployé chez Ethereum, et l’on peut alors trier ce que l’on souhaite avoir ou non. Je pense donc que c’est utile, mais je ne suis pas certain qu’on ait besoin de toutes les bizarreries qu’on peut trouver chez Ethereum, comme les flash loans par exemple. Je me renseigne sur le sujet et je trouve ça très intéressant et amusant, mais je ne pense pas que cela arrivera avec Bitcoin. Au final, les cultures de Bitcoin et Ethereum sont très différentes. Parfois, j’ai l’impression que cela serait bénéfique si les deux communautés communiquaient plus entre elles.
À quoi ressemblera selon vous le Lightning Network dans dix ans ?
J’espère qu’il sera utilisé par un grand nombre de personnes pour des paiements de détail. J’espère aussi qu’il commencera à remplacer les cartes de crédit ou les systèmes de paiement basés sur des téléphones comme Venmo par exemple. Ça ne sera pas nécessairement la seule direction qu’il prendra. Peut-être que les entreprises vont commencer à l’utiliser davantage.
J’ai quand même des craintes en matière de mise à l’échelle, même avec le Lightning Network. Si l’on prend Bitcoin à ce stade, avec SegWit, on a 1,5 Mb par bloc. Avec la technologie dont on dispose aujourd’hui, on ne peut toujours pas avoir un nombre trop important de personnes qui utilisent le Lightning Network. On est donc limité dans le nombre de personnes qui peuvent ouvrir des canaux. On ne peut pas à ce stade avoir un milliard de personnes qui utilisent le Lightning Network. Cela veut dire que si les frais deviennent élevés, on pourrait voir une utilisation majoritaire par de grandes entreprises, et pas par des utilisateurs particuliers.
J’espère que ça ne sera pas le cas et que l’on va trouver des moyens de mettre à l’échelle le réseau. Mais cela reste une possibilité. Lightning pourrait lui aussi devenir un système utilisé pour des paiements à haute valeur. Mais je veux rappeler que même pour le Bitcoin, les frais restent encore relativement peu élevés, et l’on peut l’utiliser pour des achats d’un montant réduit. Les frais vont augmenter à un moment, pour avoir plus de sécurité, mais peut-être que cela prendra un peu plus de temps que prévu.
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