Lancer un Play-to-Earn en France : le jeu en vaut-il la chandelle ?
La commercialisation en France d’un jeu Play-to-Earn (P2E) est tout sauf un jeu d’enfant, tant les règlementations trouvant potentiellement à s’appliquer sont nombreuses et leurs violations passibles de sanctions.
En France, si les jeux d’argent en ligne ont été ouverts à la concurrence en 2010, ces derniers font l’objet d’une vigilance accrue de l’Autorité nationale des jeux (ANJ) et du service de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), eu égard notamment aux risques d’addiction et de blanchiment d’argent et financement du terrorisme.
Dans un environnement réglementaire en constante évolution, la récente mise en garde de l’ANJ vis-à-vis des activités de la licorne française Sorare est une nouvelle illustration de la nécessité de prêter une attention toute particulière à ces sujets.
Le Play-to-Earn, qu’est-ce que c’est ?
Si l’expression « Play-to-Earn » se traduit en français par « Jouer pour Gagner », elle renvoie communément à des jeux en ligne, pouvant reposer sur la technologie blockchain, et permettant aux joueurs d’être récompensés pour leur participation, via des avantages en numéraire ou en nature.
Dans ce contexte, jouer permet d’être éligible à des récompenses, par exemple en tokens fongibles ou non fongibles (NFTs), via notamment l’ouverture de « coffres à butin » (loot boxes), dont le contenu parfois aléatoire peut être échangé contre d’autres tokens ou en monnaies ayant cours légal.
Cependant, tout jeu comporte des règles et les studios de développement doivent demeurer vigilants quant aux réglementations susceptibles de s’appliquer.
? Explications et définition d'un Play-to-Earn (P2E)
L’interdiction de principe des jeux d’argent et de hasard
Les règles sont a priori simples : les jeux d’argent et de hasard sont par principe prohibés à l’exception notamment de certains jeux en ligne sous réserve d’un agrément préalable par l’ANJ : paris hippiques, paris sportifs et jeux de cercle en ligne (poker).
La qualification de jeux d’argent et de hasard repose sur trois éléments matériels cumulatifs : le caractère public de l’offre, l’espérance d’un gain et un sacrifice financier du joueur.
Sur le caractère public de l'offre
Est considérée comme adressée au public l’offre faite à un cercle dépassant les limites du cercle privé, tel que celui de la famille ou des amis. Selon l’ANJ, cette condition est remplie dès lors que l’offre est faite par le biais d’un service de communication public en ligne tel qu’Internet.
Pour que ce critère soit rempli, le jeu doit donc être accessible depuis la France, par exemple via Internet.
Sur l'espérance de gain
Si elle constitue depuis l’origine l’essence même d’un jeu vidéo dont il convient de remporter la « partie », cette notion a cependant considérablement évolué. Traditionnellement, le joueur espérait un gain sans valeur monétaire et insusceptible d’être revendu. Par exemple, le contenu des loot boxes, mécanisme largement répandu, n’avait traditionnellement pas de valeur économique.
Dans le cadre d’un jeu P2E adossé à la technologie blockchain, le joueur peut communément remporter des tokens fongibles ou non fongibles (NFTs), dont la rareté peut varier, et pouvant être échangés ou revendus sur un marché secondaire.
Dans ce cas, l’espérance de gain du joueur résulte de la valeur monétaire qu’il pourra retirer de son lot. L’espérance de gain doit ainsi être entendue au sens large car elle peut recouvrir des gains en numéraire mais également en nature, notamment par la remise de crypto-actifs si ces derniers sont susceptibles de monétisation, c’est-à-dire être revendus.
Si le fait que le gain soit dû, même partiellement, au hasard était auparavant un critère pris en compte pour interdire un jeu d’argent, la question reste ouverte désormais, d’autant que l’implication du savoir-faire du joueur n’est pas déterminante.
Sur le sacrifice financier
Enfin, sur le sacrifice financier, celui-ci sera caractérisé dès lors que le joueur paie, de manière directe ou indirecte, une somme d’argent, quand bien même il ne s’agirait que de quelques centimes.
À ce titre, même si cette interprétation n’a pas encore été validée par un juge, le simple fait d’accorder l’accès à des données personnelles pourrait s’apparenter, du point de vue du joueur, à un sacrifice financier.
Par conséquent, si un jeu répond aux trois critères cumulatifs susvisés, il entre dans la catégorie des jeux d’argent et de hasard et est formellement prohibé en France.
L’analyse à mener au regard de la réglementation en matière d’actifs numériques
Depuis la loi PACTE du 22 mai 2019, le fait de commercialiser en France tout ou partie des services suivants sur actifs numériques nécessite un enregistrement en tant que prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) :
- la conservation d’actifs numériques pour le compte d’un client ;
- le service d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
- le service d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques ;
- et/ou l'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques.
Les tokens fongibles ou non fongibles proposés dans des jeux P2E pourraient ainsi emporter, en fonction de leurs caractéristiques et après analyse au cas par cas, la qualification d’actifs numériques, notamment dans le cas où un caractère utilitaire leur serait attaché.
Les services portant sur de tels actifs pourraient par conséquent nécessiter, dans certains cas, l’enregistrement du prestataire en tant que PSAN.
? Qu'est-ce que le PSAN et comment obtenir ce statut ?
Conclusion sur la création d'un Play-to-Earn en France
Si le marché du Play-to-Earn présente de nombreuses opportunités, ses acteurs devront se garder de se jeter tête baissée dans son développement et sa commercialisation, certaines décisions hasardeuses pouvant entraîner des qualifications juridiques aux conséquences importantes.
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Avertissement : Cet article est publié à des fins éducatives et informatives uniquement. Il n’est pas destiné et ne doit pas être interprété comme un conseil juridique.
Cet article est le fruit d'un travail collectif de Me Daniel Arroche (avocat associé – d&a partners) et Me Joseph Bohbot (avocat collaborateur – d&a partners).
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