Guide juridique d'une « tokenisation » immobilière en France – Comme structurer une telle opération ?
Est-il possible de « tokeniser » un bien immobilier en droit français ? C’est la question que se posent de nombreux acteurs de l’immobilier qui envisagent de recourir à un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP ou blockchain) pour réaliser des opérations immobilières. L’objectif recherché est le plus souvent de démocratiser l’accès à l’investissement immobilier ainsi que de simplifier et […]
Est-il possible de « tokeniser » un bien immobilier en droit français ?
C’est la question que se posent de nombreux acteurs de l’immobilier qui envisagent de recourir à un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP ou blockchain) pour réaliser des opérations immobilières. L’objectif recherché est le plus souvent de démocratiser l’accès à l’investissement immobilier ainsi que de simplifier et sécuriser les transactions grâce à un registre transparent et présumé infalsifiable.
Les réponses ne sont pas évidentes puisqu’elles se trouvent au croisement de plusieurs droits. Dans le présent article, nous apporterons quelques pistes de réflexion sur ce sujet passionnant.
Comment structurer une opération de « tokenisation » immobilière ?
Avant toute chose, il convient de définir ce que l’on entend généralement par la notion de « tokenisation » de l’immobilier, ce d’autant que ce concept est totalement inconnu du droit français. La « tokenisation » consiste tout simplement à représenter la propriété d’un actif dans une blockchain.
Or, le droit français ne prévoit expressément la reconnaissance d’un droit de propriété sur des actifs enregistrés dans une blockchain que pour les minibons (cette catégorie de bons de caisse permettant aux PME de se financer en recourant à l’épargne publique via des plateformes de crowdfunding) et les titres financiers émis par les sociétés par actions à condition qu’ils ne soient pas admis aux opérations d’un dépositaire central de titres (i.e. négociés sur une plate-forme de négociation).
Ainsi, pour l’heure, la France ne reconnaît pas formellement d’effet juridique à l’enregistrement de la propriété d’un actif immobilier dans une blockchain.
Il pourrait alors être envisagé de faire entrer cet actif immobilier dans le patrimoine d’une société par actions puis de représenter les actions de cette société au moyen d’une blockchain. La « tokenisation » de l’immobilier s’assimilerait donc à la « tokenisation » d’une société par actions propriétaire d’un bien immobilier.
Le fait que les actions d’une société soient enregistrées dans une blockchain implique de respecter non seulement le Code de commerce, mais aussi le régime propre aux titres financiers. A contrario, le cadre juridique propre aux jetons dits « utilitaires » qui encadre les offres au public de jetons (ICO) et les Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN) n’est pas applicable dans ce cas.
En pratique, ce type de projet de « tokenisation » prend communément la forme d’un placement privé ou d’une offre au public de titres financiers pour un montant inférieur à 8 millions d’euros avec dépôt d’un Document d’Information Synthétique (DIS) auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
De même, s’il n’est en principe pas possible, pour des raisons juridiques, d’organiser un véritable marché secondaire des titres financiers enregistrés dans une blockchain, certaines solutions alternatives peuvent être explorées.
Cette structuration est actuellement envisagée dans le cadre de différents projets novateurs, visant à faciliter l’accès du plus grand nombre à des actifs immobiliers, par exemple dans une optique patrimoniale.
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Peut-on payer le prix d’acquisition d’un bien immobilier « tokenisé » en crypto-actifs ?
Dans le cas où la société ayant vocation à porter le bien immobilier détiendrait des crypto-actifs, elle pourrait souhaiter procéder à cette acquisition via un paiement en crypto-actifs.
Selon Me Antoine Cellard, notaire à Paris :
« Une seule vente immobilière en crypto-actifs a été régularisée par le biais d’une cession d’actions (share deal) et non par une acquisition directe de l’actif (asset deal). Toutefois, cette opération totalement inédite parait envisageable puisqu’elle s’analyse, sous l’empire du droit civil, en un simple paiement en nature. Pour autant, l’acquisition en crypto-actifs d’un bien tokenisé ou non se heurte inévitablement à certains obstacles. »
En effet, la libération du prix en crypto-actifs pourrait soulever d’autres questions incidentes plus sensibles :
(i) il faudrait recourir à un intermédiaire pour assurer le transfert des crypto-actifs du portefeuille de l’acheteur vers celui du vendeur (en mettant en œuvre au préalable des méthodes de vérification de la propriété des portefeuilles, par exemple via un « test Satoshi ») ;
(ii) il faudrait également arrêter une valeur des crypto-actifs à un instant précis afin d’éviter tout risque de fluctuation du prix (au moyen d'agrégateurs de données tels que CoinGecko et CoinMarketCap) ;
(iii) il faudrait à tout le moins prévoir une partie du paiement en monnaie fiduciaire pour acquitter les émoluments règlementés du notaire en charge de l’opération et les droits d’enregistrement ;
(iv) il faudrait faire attention aux éventuelles plus-values latentes réalisées sur les crypto-actifs apportés en paiement qui pourraient se cristalliser à l’occasion de l’opération ;
(v) comment œuvrer avec le droit de préemption urbain renforcé dans le cas où le prix est stipulé en crypto-actifs ? Ou bien avec celui d’un locataire bénéficiaire d’un droit de préemption ? ;
(vi) comment organiser une action en lésion qui peut intervenir plusieurs années après l’acquisition alors même que la valeur des crypto-actifs est très fortement volatile ? ;
(vii) enfin et surtout, comment le notaire peut-il remplir son obligation de vérification de la traçabilité des fonds avec un paiement du prix d’acquisition en crypto-actifs ?
Toujours selon Me Antoine Cellard :
« Il ne faut pas exclure que ce type d’interrogation devienne récurrent dans un futur proche, à mesure que les crypto-actifs sont adoptés par le grand public et que de nouveaux crypto-actifs stables se développent (USDc, USDt, Dai, etc.), voire même que soit mis en place un véritable euro numérique au moyen d’une blockchain ».
Cet article a été co-écrit par Daniel Arroche, Stéphane Daniel et Margaux Frisque, avocats au Barreau de Paris. Vous retrouverez d'autres publications sur les questions juridiques entourant la blockchain sur Medium.
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