Réglementation MiCA et Europe – Qu’en pensent les acteurs du secteur ?
En Europe, l’ombre de plus fortes régulations guette le secteur des cryptomonnaies. Pour faire le point sur ce que la réglementation MiCA changerait, l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan) et Cryptoast ont publié une série de vidéos afin d'interroger les acteurs de notre écosystème. Aave, Just Mining, Coinhouse, Ledger : qu’ont-ils à dire à ce sujet et quelles sont leurs craintes ?
La réglementation MiCA, un frein plutôt qu’un vecteur de développement de la DeFi ?
MiCA toucherait en particulier le secteur de la finance décentralisée (DeFi). En effet, la réglementation a été créée avec des plateformes centralisées en tête. Cela veut dire que les acteurs du secteur de la DeFi seraient forcés de devenir des entités juridiques propres, afin de continuer à exister en Europe.
Pour Marc Zeller de Aave, Pablo Veyrat du protocole Angle et Romain Figuereo du protocole Paladin, qui ont été interrogés par Cryptoast, c’est un non-sens. La DeFi étant par nature décentralisée, elle perd tout ce qui fait sa singularité en se rangeant dans le même giron que les plateformes centralisées.
Par ailleurs, une régulation trop stricte en Europe pousserait le continent à prendre à nouveau du retard sur les États-Unis. Le Web2 s’est créé autour de l’Amérique du Nord, mais le Web3 a encore l’opportunité de s'étendre ailleurs, notamment en Europe. Malheureusement, les règles telles que celles esquissées par MiCA tendent à freiner le développement de la DeFi en particulier sur le Vieux Continent.
La recommandation principale de l’Adan et d’une partie du secteur est donc la suivante : prenons le temps de réfléchir. La finance décentralisée étant un secteur extrêmement novateur, il ne peut pas être régulé à la va-vite, sur des modèles qui s’appliquent à des fonctionnements centralisés, et donc très différents.
Transferts de fonds (TFR) : des conséquences directes pour les PSAN
Un autre problème de la réglementation européenne est la révision du règlement s’appliquant aux transferts de fonds (TFR). L’Europe souhaite voir cette règle appliquée au secteur des cryptomonnaies, mais dans les faits, cela rend les choses bien plus complexes.
D’une part parce qu’il est techniquement difficile de collecter des informations ou appliquer des limitations à des projets qui font par nature peser la responsabilité des transactions sur les utilisateurs, et non une entité centralisée. D’autre part parce qu’en considérant que la moindre transaction crypto tombe sous cette règle, cela pourrait faire fuir des acteurs cruciaux en dehors de l’Europe, vers des territoires disposant d’une réglementation plus souple et plus propice à l’expérimentation.
Simon Douyer d’Aplo, Élodie Trevillot de la banque Delubac & Compagnie, Rija Rameloarison de Just Mining et Pierre Gérard de Scorechain se rejoignent ainsi sur un point : il ne s’agit pas d’ignorer toute réglementation, mais bien de l’adapter au secteur, sous peine de voir disparaître ce qui fait la force du statut de PSAN, qui est, on le rappelle, une relative exception française.
Les NFT : trop hétérogènes pour être réglementés par MiCA ?
Autre secteur qui suscite les inquiétudes des acteurs locaux : les tokens non fongibles (NFT). Pour Frédéric Montagnon d’Arianee et Quentin de Beauchesne d’Ownest, le risque est de considérer les NFT comme des objets financiers, plutôt que comme des technologies.
À leurs bases, les NFT ne sont en effet qu’un certificat d’authenticité. Cette technologie a des champs d’applications extrêmement vastes, mais elle reste au final un moyen de certifier quelque chose sur la blockchain. Les différents usages particulièrement médiatisés, comme les photos de profil, ne sont en effet qu’une facette du domaine.
Considérer les NFT comme des objets financiers pose donc deux problèmes : cela écarte d’une part la nouveauté technologique qu’ils représentent, en les réduisant à des actifs. De l’autre, cela pose des problèmes techniques considérables. Les NFT peuvent être utilisés comme des outils de traçabilité, de relation client, de certification de documents, etc. S’ils sont alors soumis à des règles strictes qui ne correspondent pas à leurs usages, cela pourrait là aussi complètement freiner le développement du secteur.
Le livre de Cryptoast pour tout comprendre aux cryptosLes futurs « PSAN européens » : des limitations qui inquiètent
Simon Douyer d’Aplo, Nicolas Louvet de Coinhouse, Rija Rameloarison de Just Mining et Mark Kepeneghian de Kriptown le disent : la régulation du secteur des cryptomonnaies est nécessaire, au vu de l’importance considérable qu’il a pris. Mais dans un secteur d’innovation, trop réguler représente un danger, qui pourrait potentiellement avoir des conséquences plus délétères qu’une absence temporaire de régulation.
Les acteurs du secteur pointent notamment du doigt les exigences de MiCA en termes de fonds propre, qui peuvent freiner des entreprises de petite et moyenne ampleur. Ils évoquent aussi l’éventualité de déménager leurs entreprises, pour pouvoir s’inclure dans des juridictions plus claires, s’ils se retrouvent trop freinés au niveau européen. Le futur sésame de l’UE doit donc apporter suffisamment de souplesse.
Là aussi, le risque est bel et bien de faire fuir des acteurs innovants vers de plus verts pâturages, alors que l’Europe pourrait justement devenir un centre névralgique pour l’industrie liée aux cryptomonnaies.
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Surveillance des portefeuilles auto-hébergés : tout simplement inapplicable ?
Un des points les plus critiqués des projets de régulation européens est celui qui concerne les portefeuilles auto-hébergés, c’est-à-dire ceux qui ne reposent pas sur une entité centralisée, à l’instar d’un Ledger par exemple. Toutes les transactions entre ce type de portefeuilles et des entités régulées pourraient être surveillées, avec des collectes d’information très poussées sur les utilisateurs.
Pour Nicolas Louvet de Coinhouse, Pascal Gauthier de Ledger et Florian Le Goff de Synaps, cette éventualité est tout simplement inapplicable techniquement. Par ailleurs, les États-Unis, la Suisse et d’autres territoires ont déjà fait le choix de ne pas appliquer la règle de surveillance aux « unhosted wallets », l’Europe se distingue donc grandement en proposant cette mesure.
Là aussi, le régulateur semble limité dans sa vision de la technologie qui sous-tend les portefeuilles auto-hébergés. Selon les acteurs du secteur, une surveillance massive freinerait ainsi énormément les entreprises, tout en ne permettant pas particulièrement de lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
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Cryptoast Academy : Ne gâchez pas ce bull run, entourez vous d'expertsL’épineuse question du minage de cryptomonnaies
Pour les acteurs du secteur, le secteur du minage de cryptomonnaies peut tout à fait s’inscrire dans les objectifs écologiques de l’Union européenne. Thomas Charbonnel de BBGS, Alexandre Teinturier et Maxime Chery de Mètis et Youssef El Manssouri de Sesterce pointent du doigt le manque d’information qui pèse encore lourdement sur les entreprises liées au minage.
En effet, l’Union européenne semble baser ses projets de réglementation sur des données obsolètes, ou vastement exagérées, notamment par les médias. Selon les acteurs du secteur, il est donc urgent de considérer le mining comme une industrie à part entière, pour le réguler plus justement.
Par ailleurs, cette industrie peut être vue comme un moyen souple d’appuyer le réseau électrique existant, notamment en consommant l’excédent qui ne peut pas être stocké. Elle favorise aussi la production d’électricité verte – la moins onéreuse pour les mineurs. Il y a donc un considérable travail d’éducation à faire pour que les régulateurs comprennent mieux les réalités du minage.
Conclusion
Les acteurs de la cryptosphère francophone ne sont pas, comme on l’entend parfois, dans une posture d’opposition systématique à la régulation. Au contraire, ils estiment qu’elle est nécessaire. Mais celle-ci doit se baser à la fois sur une réelle connaissance du sujet, et sur une adaptation à des mécanismes qui s’éloignent grandement des entreprises « classiques ».
Sans cela, les entreprises craignent que l’Europe ne manque le train du Web3 et laisse le champ libre à d’autres territoires, dont les États-Unis, comme cela a déjà été le cas pour le Web2.
? Pour aller plus loin – Le député sortant Pierre Person présente un rapport sur l’écosystème crypto