Le Bitcoin est-il une monnaie ?

Le Bitcoin est-il une monnaie ?

C’est la question que s’est posée la Banque de France il y a quelques mois, et le résultat se trouve dans cette note. Bien évidemment, la Banque de France étant ce qu’elle est, ce document est presque exclusivement constitué de sophismes, incompréhensions plus ou moins totales, et autres hypocrisies. Mention spéciale à l’utilisation du BTC à des fins terroristes, comme si la monnaie fiduciaire ne représentait pas la vaste majorité des transactions réalisées par les terroristes.

La question initiale, toutefois, reste intéressante : peut-on vraiment dire que le Bitcoin est une monnaie ?

 

Définition théorique de la monnaie

La définition aujourd’hui la plus répandue de la monnaie comprend trois fonctions qui doivent être remplies :

  • L’utilisation comme unité de compte,
  • L’utilisation comme intermédiaire des échanges,
  • L’utilisation comme réserve de valeur.

La Banque de France ne manque pas de rappeler ces éléments, en balayant d’emblée les crypto-actifs dans leur intégralité pour chacun de ces critères. Et pourtant, le seul exemple avancé est celui du Bitcoin. Observons donc ces critères plus en détail.

 

Critère de l’utilisation comme unité de compte

L’idée est que la valeur d’un objet doit pouvoir être exprimée en crypto-monnaie, ou, plus précisément, que la valeur de l’objet soit instantanément compréhensible grâce à ce prix affiché. Par exemple, si l’on vous vend une baguette de pain à cinq euros, vous pouvez immédiatement savoir que c’est très cher pour une baguette.

Et selon la BdF, les fluctuations de valeur du BTC empêchent cela. Ce qui est tout à fait compréhensible sur le plan théorique, puisqu’il est effectivement difficile d’estimer la valeur de biens tels que des chaussures ou du pain directement en Bitcoin. Fixer un prix définitif en BTC, ne serait-ce que pour une semaine, est souvent trop compliqué pour être faisable à l’heure actuelle.

Mais, parallèlement à cela, de manière très étrange, les bolivars vénézuéliens ont continué d’être considérés comme monnaie malgré des fluctuations bien plus violentes que celles du BTC. C’est là une différence de traitement médiatique surprenante, surtout lorsqu’on prend en compte le fait qu’un bon nombre de commerçants vénézuéliens ont accepté le paiement en crypto-monnaie pour éviter de perdre de l’argent en étant payés en bolivars. Autrement dit, le BTC et l’ETH étaient plus stable que le bolivar, qui est lui, une monnaie reconnue…

En ce qui concerne les bolivars, la cause de ces variations de valeur est connue. Mais pour les crypto-actifs, de quoi dépend-elle exactement ?
En fait, la cause profonde est plus évidente qu’il n’y paraît : c’est une question d’adoption.

A l’heure actuelle, le nombre d’utilisateurs de crypto-monnaies est très réduit à l’échelle planétaire. Les monnaies fiduciaires n’ont bien évidemment pas ce problème, puisque le gouvernement oblige le peuple à l’utiliser et à accepter de payer ou d’être payé avec.

Du fait de la quantité réduite d’utilisateurs des cryptomonnaies, le principal moteur de leurs mouvements de valeur est la spéculation, associée assez régulièrement à des manipulations de marché effectuées par des personnes seules ou des petits groupes d’intérêts privés.

Bien évidemment, c’est technologiquement impossible aujourd’hui, mais imaginons un moment que le BTC soit utilisé simultanément comme monnaie mondiale par 7,65 milliards de personnes. Dans ce cas, il serait extrêmement compliqué d’influencer son cours comme c’est le cas aujourd’hui. En effet, il faudrait mettre en jeu la richesse de pays entiers pour espérer faire bouger d’un demi pour cent la valeur du BTC.

En outre, il faut savoir qu’à l’heure actuelle, le Bitcoin est déjà aussi stable que les marchés du pétrole et du dollar. Comme cette publication scientifique l’indique, le marché des crypto-actifs est en passe de devenir ce qu’on considère comme un « marché traditionnel », aux côtés de la Bourse, du fait de sa maturité et de sa stabilité croissantes au fil des ans.

L’utilisation de la crypto-monnaie comme unité de compte ne dépend donc, au final, que de la quantité de gens qui s’en servent. Il ne reste qu’une question à élucider : quelle sera la crypto-monnaie qui atteindra l’objectif d’adoption mondiale en premier ?

 

Critère de l’intermédiaire des échanges

Il s’agit tout simplement du corollaire logique de celui de l’unité de compte. Si une valeur est exprimée en BTC, alors des BTC doivent pouvoir être utilisés pour effectuer directement la transaction.

C’est donc peu surprenant que la BdF reproche –encore– aux crypto-actifs, leur volatilité. Argument vide de sens s’il en est, comme indiqué ci-dessus.

Toutefois, ce n’est pas le seul, puisque la Banque de France reproche également aux crypto-actifs « des frais de transactions qui sont démesurés pour de simples opérations de détail ». Sans nul doute inspirée par les échecs critiques du Bitcoin et de l’Ethereum en pleine période de Bull Run, la Banque de France a battu le record olympique d’amalgames, loin devant les politiques français de tous bords.
En effet, le Bitcoin et l’Ethereum étaient à ce moment tous deux soumis aux problèmes engendrés par la Preuve de Travail. Un protocole lent et obsolète s’il en est, qui n’a pour lui que l’argument de la sécurité, mais n’est aucunement adapté à une utilisation massive du réseau. Tels des autoroutes à une voie, les réseaux BTC et ETH se sont retrouvés saturés en période de vacances. Les prix de transaction ont augmenté, certes.

Mais au même moment, de nombreux autres crypto-actifs proposaient des transactions nettement moins chères, que ce soit grâce à des systèmes de consensus plus centralisés (NEO, XRP), ou bien grâce à un DAG (NANO, IOTA, Byteball). La plupart sont extrêmement peu chers, comme Ripple qui ne demande que des miettes de centimes, ou gratuits comme NANO (le seul coût, qui est celui de l’électricité, s’élève à moins d’un centième de centime).

Certes, ces réseaux n’étaient pas forcément aussi fréquentés que ceux du BTC et de l’ETH, mais ils avaient tout de même le mérite d’exister.

Aujourd’hui, les frais de transaction du BTC sont redescendus jusqu’à moins de dix centimes. Un montant qui reste non négligeable quand on achète un objet d’une valeur de moins de dix euros, mais qui reste de ce fait comparable aux frais de transaction engendrés par les paiements en carte bancaire.

Car ce que la Banque de France semble avoir oublié, c’est que beaucoup de petits commerçants en France refusent d’utiliser la carte bancaire pour des petits montants… Autrement dit, que les frais de transaction des monnaies fiduciaires sont parfois « démesurés pour de simples opérations de détail ».

Comme l’aurait dit Franck Ribéry, la routourne va tourner. Avec les nouveaux crypto-actifs comme le NANO, ainsi que les progrès technologiques comme la mise en place imminente de la Preuve d’Enjeu sur le réseau Ethereum, ce sont les cartes bancaires qui seront plus chères à utiliser, et ce de manière constante.

Cet argument n’a donc, lui non plus, aucun sens.

La BdF dispose toutefois d’un as dans sa manche, dans sa liste d’arguments contre les crypto-actifs : les garanties de remboursement en cas de fraude. Dans le cas de la plupart des crypto-actifs, le caractère décentralisé empêche évidemment de déplacer de l’argent d’un compte à un autre par la force. En cas de fraude, il est donc plus difficile d’être remboursé.

Mais est-ce impossible pour autant ? En fait, la procédure demande seulement un travail plus important, puisqu’il est presque toujours possible de retrouver la trace des personnes ayant fraudé, si l'on met de côté les crypto-actifs anonymes comme le Monero par exemple. Les blockchains étant essentiellement des livres de compte ouverts aux yeux de tous, un simple recours à la police devrait suffire pour retrouver les criminels et délinquants en ayant fait usage, tant qu’il demeure possible de relier une quelconque adresse à une personne. Ce qui est forcément le cas puisque chaque porte-monnaie finit toujours par entrer en relation avec un autre qui a été utilisé pour une transaction « réelle ».

Mais tout cela reste évidemment beaucoup plus compliqué que de simplement demander à la banque de décider que la transaction n’a jamais eu lieu. La police ne peut qu’essayer de retrouver, mais elle ne peut pas garantir de réussir…

Il faut savoir également que certains crypto-actifs comme l’EOS permettent la modification des valeurs associées aux porte-monnaies par un comité central. Le même mécanisme que celui existant avec les banques, en somme. Il est donc tout à fait possible de mettre en place un crypto-actif correspondant à ce critère.

En outre, je souhaite –encore et toujours– rappeler ce qui est arrivé aux Chypriotes lorsque les banques et autres politiques ont commis des négligences criminelles dans leurs devoirs : l’argent des Chypriotes a été purement et simplement confisqué pour sauver les banques des erreurs de leurs dirigeants, sans que les citoyens aient leur mot à dire.

Pour faire simple, il ne faut pas oublier que la garantie de remboursement en cas de fraude exclut automatiquement la garantie absolue de propriété. Si votre argent se trouve dans un établissement qui peut choisir de vous en prendre à volonté en cas de fraude suspectée, alors il peut aussi vous en prendre en dehors des cas de fraude. Les Chypriotes n’étaient pas vraiment propriétaires de l’argent qui se trouvait dans leurs banques, et vous non plus.

Enfin, je me permets également de rappeler qu’il existe d’ores et déjà un système permettant de mitiger fortement les effets de cette absence de garantie : les assurances. Tout comme il est possible d’assurer un appartement ainsi que son contenu (et d’être remboursé en cas de vol), il est possible d’assurer un portefeuille Bitcoin et son contenu. Ce n’est certainement pas une pratique répandue aujourd’hui, mais il est évident que dans une un potentiel futur fonctionnant quasi-uniquement grâce à des crypto-actifs, un tel mécanisme serait utilisé partout.

 

Critère de la réserve de valeur

Le principe d’une réserve de valeur est, en toute logique, de conserver sa valeur au fil du temps. Et, accessoirement, cela signifie que cette valeur doit être justifiée par un élément concret. Car sans élément concret extérieur, les monnaies n’ont pas de « valeur intrinsèque ».

Ou, en tout cas, c’est ce qu’affirme la Banque de France. Toujours selon elle, « les crypto-actifs ne reposent sur aucun sous-jacent réel ». Mais est-ce vraiment le cas des monnaies fiduciaires ? Après tout, en supposant que la valeur des monnaies fiduciaires soit relativement constante grâce à leur « valeur intrinsèque », il devrait être possible de gagner de l’argent par le biais de l’épargne.

Mais en France, ce n’est pas possible, avec un Livret A qui permet de gagner 0,75% par an alors que le taux d’inflation est d’environ 1,60% actuellement (2% pour la majorité de l’année 2018). Et ce problème de dévaluation exponentielle de la monnaie est le même partout là où l’inflation existe. Aux Etats-Unis, par exemple, la valeur du dollar été divisée par 2 en une génération… Un millionnaire en 1990 et un millionnaire en 2018 n’ont rien à voir, l’un était considéré comme très riche et l’autre fait simplement partie du haut de la classe moyenne.

C’est pour ces raisons qu’il est difficile de prétendre que les monnaies fiduciaires ont encore une valeur intrinsèque aujourd’hui. Tout au plus, cette valeur résulte de la confiance que l’on peut accorder en l’institution chargée de sa gestion. Mais elle sera toujours plus faible que celle que l’on peut accorder à une part de société multinationale, ou à un immeuble.

Et si l’on ne peut pas faire confiance en les monnaies fiduciaires pour conserver leur valeur, alors elles ne font pas plus office de réserve de valeur que des bitcoins.

 

Concept de monnaie et crypto-actifs

Outre les critères mentionnés ci-dessus, somme toute assez récents, il est intéressant de réfléchir également à la nature de la monnaie de manière plus large.
Si l’on va chercher plus loin dans l’Histoire, ou sur Terre, on peut trouver des cas intéressants prouvant que cette conception de monnaie est peut-être un peu trop étriquée.

L’exemple le plus connu est celui de la Rome antique, un grand empire bureaucratique s’il en est, méticuleusement organisé, et ayant accompli mille et un progrès civilisationnels au cours de son existence. En effet, ses légionnaires étaient partiellement payés avec du sel, d’où le mot « salaire ». Est-ce pour autant que tous les romains allaient faire leurs courses avec une poche de sel ? Est-ce pour autant que les plus riches des romains stockaient du sel dans des coffres au lieu d’or et d’argent ?
Cela n’a pas empêché le sel de servir de monnaie régulièrement, parce qu’il s’agissait à ce moment d’un bien rare et précieux, et que tous les soldats avaient besoin de l’échanger contre d’autres objets. Ce n’était pas l’intermédiaire de TOUS les échanges, et l’évaluation de la valeur d’un objet en sel n’était certainement pas toujours facile, mais c’était tout de même une monnaie.

Et il en est de même pour des centaines d’autres biens, tels que des anneaux, des armes, des coquillages, du tissu. Tous ont parfois servi de monnaie, à un endroit ou à un autre.
L’idée de monnaie est donc clairement quelque chose de beaucoup plus flexible que la Banque de France le laisse entendre, qui varie surtout en fonction des époques et des situations.

La monnaie est quasiment aussi vieille que l'humanité, et elle évolue de manière plus ou moins lente. Le passage des métaux précieux à la monnaie scripturale a mis des centaines d'années. Cependant ces dernières années, nous constatons une accélération avec le paiement par carte bancaire, les terminaux mobiles...
Historiquement, ceux qui contrôlent la monnaie ont le pouvoir. C'est pour cela qu'elle a été, au fur et a mesure, monopolisée par les états afin de permettre de piloter son économie et ses citoyens.

Depuis 1971 et la fin du système de Bretton Woods, la monnaie ne repose plus sur rien de tangible. En effet, avant le 15 août 1971 et l'annonce du président américain Richard Nixon (président des États-Unis entre 1969 et 1974), le dollar était adossé à l'or, en fonction d'une valeur prédéfinie (35$ par once d'or au moment de la disparition du système). En fait, l'accord du Smithsonian, signé le 18 décembre 1971, sonne la fin du système basé sur la convertibilité en or du dollars. Tous les matins, le taux de change du dollars varie.

La monnaie actuelle ne repose plus uniquement sur la confiance accordée par les personnes qui l'utilise. En France, l'État nous oblige à l'utiliser, notamment pour payer nos impôts.
Cependant, l'accumulation de catastrophes monétaires durant les XXème et XXIème siècle met à mal cette confiance : crise grecque, chypriote, crise des subprimes, Zimbabwe, Vénézuela... Vous pouvez découvrir dans cet article un état des lieux des crises monétaires depuis 1914.
Nous finirons cette partie avec une citation de Friedrich Hayek, économiste et philosophe, qui déclara :

« Je ne crois pas au retour d’une monnaie saine tant que nous n’aurons pas retiré la monnaie des mains de l’État ; nous ne pouvons pas le faire violemment ; tout ce que nous pouvons faire, c’est, par quelque moyen indirect et rusé, introduire quelque chose qu’il ne peut pas stopper. »

Est-ce que les crypto-actifs correspondent à cet idéal ?

Source : Bitcoin, totem & tabou de l'Institut Sapiens

 

Conclusion

Aujourd’hui, la société est plus complexe. La rapidité, la fongibilité, la sécurité de la monnaie sont plus nécessaires que jamais. Il est donc tout à fait normal de considérer que les anciennes formes de monnaie mentionnées ci-dessus n’ont plus vocation à être utilisées.

Cependant, il ne faut pas non plus faire l’erreur de croire que la définition actuelle de la monnaie ne peut pas changer. Car les crypto-actifs peuvent déjà servir de monnaie à titre occasionnel. La seule question qui reste est la suivante : deviendront-ils véritablement une monnaie aux yeux de tous ? Seul l’avenir nous le dira, mais en ce qui me concerne, je parierais bien quelques satoshis là-dessus.


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