Bitcoin : valeur refuge en temps de crise économique ?

Bitcoin : valeur refuge en temps de crise économique ?

En ce début d'année 2020, le coronavirus (COVID-19) affecte sévèrement l'économie mondiale en mettant à l'arrêt un pan entier de l'industrie, notamment en Chine, le foyer initial de l'épidémie. L'impact est tellement fort qu'il pourrait constituer le début d'une nouvelle grave crise économique. Le bitcoin, lancé en 2009 juste après la dernière crise financière mondiale, est perçu par beaucoup comme une valeur refuge qui aurait un rôle à jouer dans ce type de situation. Mais est-ce vraiment le cas ?

 

Une nouvelle crise économique ?

Le 9 mars, c'est un « lundi noir » qui a secoué le monde financier traditionnel dans sa globalité : le baril de pétrole a perdu un quart de sa valeur, les actions se sont écroulées faisant plonger de plus de 8 % les principaux indices boursiers (Nikkei 225, SSE Composite, CAC 40, DAX, S&P 500, Dow Jones, NASDAQ) et le taux obligataire du Trésor américain sur 10 ans est passé sous les 0,5 %, ce qui est un nouveau plus bas historique. Cela a fait suite à plus de deux semaines de baisse sur les différents marchés, et le krach boursier n'est pas terminé, à tel point que les médias commencent à envisager la possibilité d'une longue et douloureuse période de récession pour l'économie mondiale.

Est-on à l'aube d'une nouvelle grave crise économique mondiale ? Il est probable que ce soit le cas.

L'impact de l'épidémie du coronavirus (ou plutôt des mesures prises à son encontre) sur l'économie est dévastateur. Entre les mises en quarantaine, la fermeture des frontières et les commerces qui n'ouvrent plus, les conséquences sont monstrueuses. Pire : au-delà de cela, tout laisse à penser que le coronavirus ne sera que l'élément déclencheur d'une crise systémique bien plus grave et bien plus étendue dans le temps, peut-être même plus grave que la crise de 2007-2008.

Et cela ne doit pas être pris à la légère. Les conséquences de cette crise ne concerneront pas seulement les actifs financiers mais également la vie quotidienne de chacun d'entre nous. Rappelons que le chômage qui avait explosé dans le monde entier suite à la dernière crise : en France, le taux de chômage était passé de 7,2 % à 9,2 % en un an, pour atteindre un pic de 10,5 % en 2013 ; tandis qu'aux États-Unis, il avait doublé en l'espace de deux ans. en passant de 4,5 à 10 %.

? Pour comprendre pourquoi l'épidémie du coronavirus affecte autant les marchés, n'hésitez pas à visionner cette vidéo :

 

Une cause systémique ?

L'économie fonctionne par cycles et l'histoire économique est constituée de périodes de prospérité (booms) et de période de dépression (busts) qui s'enchaînent les unes par rapport aux autres. Même la tendance générale depuis des siècles est haussière, cet accroissement économique n'a pas lieu de manière linéaire : il est pontué de périodes de crises se produisant à intervalles réguliers.

 

Cycles économiques États-Unis 1775 1943
Cycles économiques aux États-Unis de 1775 à 1943. (source)

 

Ces cyles sont amplifiés par les différentes manipulations économiques, notamment en ce qui concerne la monnaie, l'instrument d'échange et de mesure de l'économie capitaliste. De plus, avec l'affermissement du contrôle monétaire des gouvernements et des banques centrales depuis l'abandon de l'étalon-or classique (1914), ces manipulations arbitraires sont devenues beaucoup plus faciles à réaliser. Cela a mené à augmenter drastiquement l'amplitude des cycles au cours du XXème. Les périodes de récession ont notamment été dévastatrices, comme la Grande Dépression qui a suivi la crise de 1929 aux États-Unis (représentée sur le schéma ci-dessus) ou la stagflation des années 1970 résultant la suspension des accords de Bretton Woods en 1971 et au choc pétrolier de 1973. Ces cycles sont visibles sur les marchés boursiers, par exemple sur le Dow Jones, l'indice boursier longtemps considéré comme le plus représentatif de l'économie américaine, dont nous voyons l'évolution ci-dessous.

 

Dow Jones 1915 2020
Évolution du Dow Jones Industrial Average (ajusté par rapport à l'inflation) de 1915 à aujourd'hui. (source)

 

La manipulation monétaire aggrave donc ces cycles, manipulation qui se manifeste aujourd'hui par l'établissement de taux d'intérêt généraux par les banques centrales. Ces taux, appelés taux directeurs, sont ensuite repris par les banques commerciales pour accorder des crédits à leurs clients, crédits qui comme on le sait correspondent à de la création monétaire. Cela permet d'encourager l'emprunt ainsi que l'investissement, et de stimuler « artificiellement » l'économie : plus le taux d'intérêt est bas, plus cette stimulation est forte, ce qui explique pourquoi on voit peu à peu apparaître des taux d'intérêt négatifs !

 

Taux directeur Federal Reserve
Évolution du principal taux directeur de la Réserve Fédérale des États-Unis entre 1955 et aujourd'hui (source)

 

À côté de cela, les banques centrales s'adonnent à une pratique appelée assouplissement quantitatif (ou quantitative easing dans la langue de Shakespeare) consistant à racheter massivement des titres de dettes aux acteurs financiers. Cela revient essentiellement à accroître la masse monétaire en injectant de la nouvelle monnaie sur les marchés, toujours dans le but de stimuler l'économie. La Réserve Fédérale (Fed) a mis en place plusieurs assouplissements quantitatifs (QE1, QE2, QE3) après la crise de 2008. La Banque Centrale Européenne (BCE) a aussi eu recours à cette mesure en 2015 pour contrecarrer les effets de la crise de la dette dans la zone euro.

Néanmoins, si elle a un effet positif à court terme, cette manipulation monétaire est à double tranchant et a des conséquences néfastes sur l'économie à long terme. L'effet principal est la diminution du pouvoir d'achat de la monnaie, c'est-à-dire l'augmentation générale des prix, ce qu'on appelle couramment l'inflation. Non seulement cette inflation diminue la richesse des épargnants, mais elle perturbe l'économie en créant du malinvestissement et contribue au gonflement de bulles spéculatives. Si mal maîtrisée, l'inflation peut devenir « galopante », se transformer en hyperinflation : c'est ce qui se passe au Venezuela depuis 2016, où la monnaie nationale perd de sa valeur de jour en jour.

C'est pourquoi les banques centrales occidentales s'efforcent de maintenir le taux d'inflation autour de 2 % et ne peuvent donc pas stimuler l'économie indéfiniment. Au bout d'un temps, il se produit donc une contraction économique, qui peut être provoquée par un facteur exogène, et qui mène généralement à une réaction en chaîne : l'économie se dégrade, les bourses s'écroulent, les particuliers et les institutions vendent leurs actifs pour couvrir leurs pertes, les entreprises font faillite, le nombre de crédits chutent, l'investissement se raréfie, etc. C'est la crise économique : l'inflation est remplacée par une spirale déflationniste qui ralentit énormément l'économie et la place dans un état de dépression qui peut durer des années. De plus, avec la mondialisation et l'interconnexion des marchés, de telles crises ne sont plus cantonnées à une zone géographique, et ont désormais une envergure mondiale : quand un segment majeur s'effondre, l'ensemble de l'économie de la planète s'effondre aussi, tel un jeu de dominos.

Tel que l'écrivait Ludwig von Mises dans L'Action humaine en 1949 :

Les mouvements ondulatoires qui affectent le système économique, la récurrence de périodes de prospérité suivies de périodes de dépression, sont l'inévitable conséquence des tentatives, sans cesse répétées, d'abaisser le taux d'intérêt brut du marché au moyen de l'expansion de crédit. Il n'existe aucun moyen d'éviter l'effondrement final d'un emballement provoqué par une expansion de crédit. L'alternative se situe seulement entre la crise à brève échéance résultant de l'abandon volontaire d'une expansion prolongée, et le naufrage final et total du système monétaire considéré à une échéance différée.

Ainsi, la politique des banques centrales conduit de manière systématique à l'entretien et l'amplification des cycles économiques, et il est probable qu'une crise majeure frappe notre économie dans les prochaines années et que nous n'en soyons qu'au commencement.

 

Le bitcoin, une valeur refuge ?

Bitcoin a été présenté au public le 31 octobre 2008, un mois après la faillite de Lehman Brothers, au travers de son livre blanc publié sur une liste de diffusion de cryptographie. La chaîne de blocs quant à elle, a été lancée le 3 janvier 2009, alors que la crise battait son plein et que les gouvernements tentaient de maintenir le navire bancaire à flot. Dans le premier bloc, le bloc de genèse, Satoshi Nakamoto a inscrit le titre de la une du Times de ce jour-là, probablement afin de prouver que Bitcoin n'avait pas été lancé avant. La phrase contenue dans ce bloc était :

The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks

Traduction : Le ministre des finances britannique sur le point de renflouer les banques pour la deuxième fois.

Une chose est claire : cette une n'a pas été choisie au hasard par Satoshi Nakamoto, et donne un indice sur ce qu'il pensait du système étatico-bancaire traditionnel. C'est pourquoi beaucoup de personnes voient Bitcoin comme une réponse à la crise financière de 2008, ce qui est inexact quand on sait que son créateur a commencé à travailler dessus bien avant, durant le premier semestre de 2007 d'après ses dires.

Bitcoin a bel et bien été conçu comme un système de monnaie indépendant du système traditionnel : il gère sa propre unité de compte, le bitcoin, qui n'est indexée sur aucun actif classique et qui est échangée librement entre les individus. Le bitcoin a sa propre politique monétaire inscrite dans le protocole et il se crée des nouvelles unités toutes les 10 minutes environ, à chaque nouveau bloc ajouté à la chaîne par un mineur. Initialement de 50 bitcoins par bloc en 2009, le taux de création monétaire est réduit de moitié tous les 4 ans environ, de telle sorte qu'il ne pourra pas théoriquement exister plus de 21 millions de bitcoins. Le taux de création monétaire est actuellement de 12,5 bitcoins par bloc, soit 3,6 % par an, et passera à 6,25 bitcoins par bloc, soit 1,8 % par an, lors du prochain halving en mai prochain.

 

Politique monétaire du bitcoin

 

Cela fait du bitcoin une monnaie particulièrement dure à produire, et c'est pourquoi on le rapproche souvent de l'or, métal précieux rare par excellence. Ainsi une idée assez répandue au sein du grand public est de considérer le bitcoin comme une valeur refuge, un « or numérique » qui permettrait de se couvrir contre les risques liés aux marchés traditionnels. Avec le prochain halving qui arrive et la crise qui se profile, c'est l'occasion rêvée pour que cet aspect soit mis en valeur. On devrait donc s'attendre à voir le prix du bitcoin augmenter, à l'instar de celui de l'or qui se comporte de la sorte en pareil cas.

Or ce n'est pas le cas.

 

Le bitcoin, un actif comme les autres ?

Dimanche dernier, le 8 mars, le marché des cryptomonnaies s'est effondré. Le bitcoin a perdu 10 % de sa valeur en une journée et les autres cyptomonnaies majeures 16 %. Certains partisans de l'aspect « valeur refuge » du bitcoin se sont donc étonnés de ce comportement, à l'instar de Brian Armstrong, le PDG de Coinbase, qui s'est dit « surpris de voir le prix du bitcoin baisser dans cette situation » et qu'il se « serait attendu à l'inverse ».

 

 

Et la baisse n'est pas terminée. Ce jeudi, le 12 mars, le prix du bitcoin a de nouveau chuté lourdement, tout comme les marchés financiers traditionnels par ailleurs.

La théorie selon laquelle le bitcoin serait une « valeur refuge » est donc invalidée par les faits, et la réalité est plus complexe que cela. Dans une entrevue accordée à BLOCKTV le 17 février dernier, Andreas Antonopoulos, le célèbre conférencier évangéliste du bitcoin, a affirmé :

Je pense qu'au sein de l'espace des cryptomonnaies il existe une tendance à regarder [cette crise économique] comme une opportunité de tester la cryptomonnaie comme un canot de sauvetage, comme une valeur refuge, et je pense que c'est une très mauvaise attitude à avoir à l'égard d'une crise économique. Parce que je pense qu'il y a juste autant de chances qu'un ralentissement de l'activité économique, en particulier dans le secteur technologique, réduise également le nombre d'investissements dans l'espace des cryptomonnaies, qui fait partie du secteur technologique. [...] Ceci pourrait être à double tranchant. Et nous ne devrions pas nous réjouir de tester la sécurité du canot de sauvetage en coulant le navire. Nous ne sommes pas prêts pour ce type de test. La cryptomonnaie n'est pas capable de supporter l'envergue de millions (voire de milliards) de personnes qui pourraient avoir besoin de l'utiliser pendant une crise économique.

Ainsi, l'intérêt du bitcoin n'est pas d'être une valeur refuge qui permettrait, à l'instar de l'or, de conserver relativement de la valeur en période d'incertitude : le marché des cryptomonnaies souffrira autant de la crise, sinon plus, que les marchés traditionnels.

Néanmoins il ne faut pas pour autant dire que le bitcoin n'a aucun intérêt en temps de crise. L'intérêt premier du bitcoin est d'être un instrument d'échange, une monnaie, un argent liquide électronique permettant d'acheter et de vendre des biens et des services. Sa principale valeur se situe dans la taille du marché alternatif qu'il permet de faire vivre. Son utilité en temps de crise est donc reliée à cette fonction. Si le bitcoin permet de faire des choses que les monnaies traditionnelles ne permettent pas, alors il prendra de la valeur. Si le bitcoin permet d'échapper à la ponction bancaire comme le « chyprage » de 2013, alors il prendra de la valeur. Si le bitcoin remplace peu à peu les monnaies nationales qui connaissent une hyperinflation, alors il prendra de la valeur.

C'est pourquoi je pense que l'adoption commerciale est très importante, et que nous ne devrions pas la négliger.

 

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