Les banques montent-elles enfin dans le train des cryptomonnaies ?

La Deutsche Bank a récemment publié une étude intitulée « Future of Payments » dans laquelle elle aborde le sujet des cryptomonnaies et leurs positions dans l’univers financier actuel. Selon eux, « la capitalisation du Bitcoin, ayant récemment dépassé les 1 000 milliards de dollars, cela le rend trop important pour être ignoré ». La perception des institutions bancaires au sujet des cryptomonnaies serait-elle en train d'évoluer pour de bon ? 

Les banques montent-elles enfin dans le train des cryptomonnaies ?

Bitcoin, ou « l'effet Tinkerbell »

Au travers de son rapport d'étude, la Deutsche Bank Research, section de l'organisme allemand dédiée à la recherche financière, retrace l'histoire du Bitcoin et les principaux facteurs qui lui ont permis d'atteindre une capitalisation aussi élevée. Les analystes s'attendent à ce que « le prix du Bitcoin continue de monter, » mais évoquent également son extrême volatilité. Selon eux, la valeur du Bitcoin dépend intrinsèquement du nombre de personnes qui croient en sa technologie.

« La valeur du Bitcoin va continuer de fluctuer selon l’intérêt que les gens lui portent. C’est ce qu’on peut appeler le « Tinkerbell effect » (l’effet clochette) – un terme économique reconnu signifiant que plus les gens croient en quelque chose, plus il y a de chance que cela arrive, à l’image du conte Peter Pan dans lequel la fée clochette existe seulement, car les enfants pensent qu’elle existe. »

Cette volatilité a longtemps été une barrière psychologique, effrayant et repoussant les nouveaux entrants et particulièrement les institutions financières. Pour bon nombre d'entre eux, l'actif réunit tous les ingrédients d'une bulle spéculative.

En 2017, Jamie Dimon (alors patron de la banque américaine JP Morgan) comparait l’évolution rapide du marché des cryptomonnaies à celui des tulipes au XVIIè siècle, ayant connu l’un des premiers krachs économiques de l’histoire. Il affirmait ainsi : « le Bitcoin est une fraude qui devrait exploser en plein vol […] et qui ne va pas marcher. On ne peut pas avoir un système où des gens créent une monnaie avec du vent. »

De même, Tidjane Thia, le PDG du groupe Crédit Suisse s’inquiétait des risques liés aux investissements sur le Bitcoin lors d’une conférence à Zurich :

« La seule raison d’acheter ou de vendre du Bitcoin est de gagner de l’argent, ce qui est la définition même d’une bulle spéculative. »

Plus récemment, plusieurs membres de la Banque Centrale européenne (BCE) ont fait part de leur inquiétude à l'égard des cryptomonnaies. C'est le cas notamment de Gabriel Makhlouf, représentant du conseil de la BCE, qui met en garde les investisseurs sur les risques de perdre la totalité de leur argent. Il ajoute également : « Personnellement, je ne sais pas pourquoi les gens investissent dans ce genre d’actifs, mais ils les considèrent clairement comme des actifs ».

La volatilité du Bitcoin peut comporter des risques dans le développement de ses applications et dans son utilisation au quotidien. C'est en tout cas l'avis d'Andrew Bailey, le directeur de la banque d'Angleterre, pour qui «cette caractéristique constitue un frein à leur utilité et leur adoption sur le long terme ».

Dans son rapport d'étude, les chercheurs de la Deutsche Bank tentent d'apporter une réponse sur l’utilité du Bitcoin et la manière de le définir : est-ce une monnaie ou une réserve de valeur ?

« Bitcoin, un moyen de paiement ? Pas encore »

Pour apporter un élément de réponse, les chercheurs de la banque allemande proposent de comparer le Bitcoin aux monnaies plus conventionnelles. Au 15 mars 2021 (date de publication du rapport), la valorisation du Bitcoin s’élève à 1075 milliards de dollars, soit 102% des yens en circulation, 65% des euros, 53% des dollars, et 904% des livres sterling.

Des chiffres non négligeables pour une monnaie qui n'existe que depuis une dizaine d'années. Cependant, le nombre de transactions effectuées avec le Bitcoin prouve qu’aujourd’hui, ce n’est pas véritablement utilisé comme un moyen de paiement. La quantité moyenne de BTC échangés serait équivalente à seulement 0,05% du yen et 0,06% du livre sterling.

Valeur de la monnaie en circulation / volumes d'échange - source : Deutsche Bank Research

 « Bitcoin : un moyen de paiement accepté ? Pas encore. […] Lorsque le marché sera plus stabilisé, l’utilisation des cryptomonnaies en tant que monnaies d’échange pour des biens et des services devrait être normalisée. Avant cela, le ratio risque / bénéfice est trop important ».

Selon des sondages menés par les chercheurs de la Deutsche Bank, la plupart des commerçants ne sont pas encore prêts à accepter les cryptomonnaies comme un moyen de paiement en raison de leur volatilité. En effet, le manque de sureté sur la stabilité de la valeur à court terme n'offre aucune garantie aux commerçants. Sur le délai de la transaction, ils n'ont pas l'assurance de récupérer la valeur exacte de leur produit. C'est le cœur du problème, selon Andrew Bailey  : « Toute la question est de savoir si les individus ont l’assurance que leurs paiements seront effectués dans quelque chose dont la valeur est stable ».

Cela dit, les compagnies proposant des moyens de paiement digitaux ont commencé à implémenter les cryptomonnaies dans leurs services. L'exemple le plus marquant vient de PayPal, qui a annoncé en octobre dernier son intention de permettre à ses utilisateurs de payer en cryptomonnaies d'ici courant 2021. C'est évidemment une avancée énorme pour l'adoption des cryptomonnaies en tant que moyen de paiement, PayPal étant l'un de ces services les plus utilisés dans le monde avec ses 300 millions d'utilisateurs et ses 28 millions de boutiques partenaires. Plus récemment, c'est Visa et Mastercard qui annonçaient emboiter le pas.

Ce n'est pas nouveau, et nous l'avons déjà évoqué plus haut dans cet article, le gouverneur de la banque d'Angleterre n'est pas encore convaincu par les cryptomonnaies actuelles. Il déclarait fin 2020 : « Je dois être honnête, il est difficile de considérer que le Bitcoin a ce que nous avons tendance à appeler une valeur intrinsèque ». Avis partagé par le PDG de la banque Goldman Sachs Lloyd Blankfein pour qui la très forte volatilité du Bitcoin le disqualifie clairement d'un rôle de réserve de valeur. En effet, il n'envisage pas que l'on puisse investir des fonds dans un actif qui affiche des variations allant jusqu'à 10% par jour.

Cependant, ce n'est pas le seul défaut de la cryptomonnaie : « Si vous perdez le code ou si vous perdez le bout de papier, il est perdu à jamais, » déclare le cadre de la banque. On estime qu'environ 3 millions de bitcoins auraient ainsi été perdus dans la nature, évaporés à jamais. De quoi décourager les institutionnels ? Pas tellement, selon les chercheurs de la Deutsche Bank.

En effet, ils expliquent dans leur rapport que l'avis des fonds d'investissement et des institutionnels en général n'est pas aussi tranché. Ils prennent notamment l'exemple de MicroStrategy, qui a converti 425 millions de dollars de sa trésorerie en Bitcoin en octobre 2020 et qui n'a cessé d'investir depuis. Selon l'entreprise américaine, les grosses compagnies en sont convaincues :

« Le Bitcoin, en tant que cryptomonnaie de référence dans le monde, est une véritable valeur de refuge. Et ils continuent de penser que cet actif représente la plus grosse opportunité de générer des gains sur investissement et de préserver la valeur de son capital sur le temps. »

Sociétés possédant une partie de leur trésorerie en Bitcoin
Liste de  sociétés possédant une partie de leur trésorerie en Bitcoin - source Deutsche Bank Research

Toujours dans leur rapport, les chercheurs allemands en sont résolument convaincus : « les banques centrales sont maintenant certaines que les cryptomonnaies sont ici pour rester, malgré que leurs valeurs restent résolument volatiles ».

Un actif devant être régulé pour perdurer

En effet, bien que les institutions financières n’aient pas toujours été tendres envers les cryptomonnaies, on constate récemment que le vent a tourné. La Deutsche Bank l’affirme au nom de ses pairs : « la capitalisation du Bitcoin, ayant récemment dépassé les 1000 milliards de dollars, le rend trop important pour être ignoré ».

Et la banque allemande est la première concernée puisqu’en fin d’année 2020, elle annonçait vouloir entrer dans le monde des cryptomonnaies en proposant un service de conservation pour cryptomonnaies. De même, la KB Kookmin Bank, l’une des plus grandes banques de Corée du Sud et BNY Mellon, une banque américaine ou encore Donner & Reuschel, une banque allemande, ont annoncé courant mars 2021 vouloir investir dans un service similaire de garde de cryptomonnaies.

Plus tôt dans l'année, les banques s’intéressaient également aux stablecoins. Sberbank, la plus grande institution financière de Russie a d’ores et déjà annoncé le lancement de son propre stablecoin. Idem pour les mastodontes américains JP Morgan et Goldman Sachs.

En réponse à cette récente démocratisation, les appels à la régulation des crypto-monnaies se multiplient. L'inquiétude porte sur leur volatilité bien entendu, mais également sur leur application. La Deutsche Bank l'évoque dans son rapport, le Bitcoin n'a pas toujours été utilisé à des fins honorables. Cette opinion est partagée par bon nombre de directeurs parmi les banques centrales, qui n'hésitent pas à ressortir les vieux clichés.

En porte-drapeau des détracteurs, la secrétaire américaine au trésor Janet Yellen, qui déclarait encore récemment lors d'une interview auprès du New York Times :

« Le Bitcoin est utilisé, je le crains, souvent pour le financement illicite [...] c'est un moyen extrêmement inefficace de mener des transactions et la quantité d'énergie consommée pour traiter ces transactions est stupéfiante ».

Des déclarations qui ne sont pas sans rappeler celles de la patronne de la BCE, Christine Lagarde. « Le Bitcoin est un actif hautement spéculatif, qui a mené des affaires bizarres et certaines activités de blanchiment d’argent intéressantes et totalement répréhensibles ». Selon elle, une régulation des cryptomonnaies est indispensable : « Il doit y avoir une réglementation qui doit être appliquée et acceptée au niveau mondial. »

Les chercheurs de la Deutsche Bank s’attendent également à ce que les banques centrales et les gouvernements travaillent de concert sur la régulation des cryptomonnaies d’ici fin 2021.

« Les banques centrales et les gouvernements comprennent que les cryptomonnaies sont ici pour rester, et c'est à eux d'initier la régulation des crypto-monnaies d'ici fin d'année ou début de la suivante, » explique l'auteur du rapport.

Conclusion

En résumé, le Bitcoin est trop important pour être ignoré et les cryptomonnaies en général sont faites pour durer, malgré leurs volatilités. Les institutions financières l’ont constaté et leur perception a drastiquement changé depuis quelque temps.

La capitalisation du Bitcoin ne cesse de monter et pourtant, le nombre de transactions et les volumes d’échange restent assez faibles. Le vrai débat est donc le suivant : est-ce que l’augmentation de la valorisation des cryptomonnaies suffirait à en faire une catégorie d’actif à part entière, ou son illiquidité et sa volatilité demeurent-elles un obstacle insurmontable ?

À cette réponse, la Deutsche Bank évoque une solution : la régulation à venir de la part des gouvernements et des banques centrales. Une bonne nouvelle pour le portefeuille des investisseurs particuliers ? L'avenir nous le dira.

👉 Pour en savoir plus – MiCa : l'ébauche d'une régulation européenne pour les crypto-actifs

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