Quels sont les risques de la loi sur les influenceurs pour l’écosystème crypto français ?
La proposition de loi visant à encadrer les influenceurs menace directement l'industrie française des cryptomonnaies. Pour en comprendre les risques et appréhender les enjeux de ce qui se joue cette semaine pour notre écosystème, nous avons interrogé l'entrepreneur français Owen Simonin et la présidente de l'Adan, Faustine Fleuret.
Une proposition de loi qui menace l'industrie des cryptomonnaies en France
« Nous ne laisserons plus rien passer : aucune dérive, aucun abus, aucune malversation ». Ce vendredi 24 mars, Bruno Le Maire a présenté une série de mesures dont l'ambition est d'encadrer plus correctement les métiers de l'influence, un secteur entaché de nombreuses polémiques depuis plusieurs mois.
Cette proposition de loi a été présentée le 31 janvier 2023 par les députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta, respectivement du Parti socialiste et de Renaissance. Elle vise à « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » et est actuellement examinée à l'Assemblée nationale.
Outre la promotion fallacieuse de produits dangereux pour la santé, du dropshipping ou encore des arnaques aux comptes personnels de formation (CPF), ce texte concerne également les cryptomonnaies. En effet, il est prévu l'interdiction aux influenceurs de faire la promotion des actifs numériques entraînant un risque de perte à titre onéreux ou en échange d’un avantage en nature.
Dans notre secteur d'activité, la définition d'influenceur est très vaste. Elle comprend les médias spécialisés, les créateurs de contenus vidéos sur YouTube et Twitch, les comptes d'informations sur Twitter, Reddit ou Facebook ainsi que les groupes de discussion comme Telegram ou Discord.
Malgré les quelques évolutions apportées au texte de loi initial, il est jugé encore trop restrictif par une partie de l'écosystème et pourrait signer le coup de grâce pour l'industrie française des cryptomonnaies, sans nécessairement corriger les débordements qu'il vise légitimement à réprimer.
Des alternatives pour tenter de sauver l'industrie
Face à l'aspect extrêmement strict de cette proposition de loi, l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan) a souhaité se positionner pour porter la voix des entreprises françaises de l'industrie des cryptomonnaies.
Suite à de nombreuses discussions, la proposition a évolué plusieurs fois. D'abord, elle interdisait purement et simplement toute communication sur les placements et investissements sur actifs numériques entraînant des risques de pertes pour les utilisateurs. Ensuite, elle prévoyait d'exclure les entreprises agréées par l'Autorité des marchés financiers. Néanmoins, il n'y en a aucune, ce qui ne changeait en aucun cas la situation.
À l'issue de l'échéance, le vendredi 24 mars, le député Éric Bothorel a soumis deux amendements qui traduisent les propositions de l'Adan, comme nous l'explique la présidente de l'association, Faustine Fleuret :
« Les propositions de l'Adan consistaient à ce que d'une part, on ouvre la possibilité aux influenceurs de communiquer sur des PSAN enregistrés et d'autre part, qu'il ne fallait pas pénaliser des entreprises n'entrant pas dans le champ de la régulation. »
L'adoption de cette proposition de loi dans sa forme initiale soulève plusieurs enjeux critiques qui pourraient lourdement handicaper l'industrie française des cryptomonnaies. « L'enjeu majeur de ces prochains jours est que les deux amendements déposés par le député Éric Bothorel soient acceptés. » nous a confié Faustine Fleuret.
👉 Retrouvez la position complète de l'Adan sur la loi dite « influenceurs »
Quels sont les enjeux et risques pour l'écosystème crypto en France ?
Une destruction du modèle économique des influenceurs et groupes d'influence français
Si aucun des deux amendements n'est accepté, alors les influenceurs ou groupes d'influences ne pourront plus communiquer sur aucune entreprise, sous peine d'une forte amende. Dans l'éventualité où les entreprises enregistrées en tant que PSAN sont exclues du texte, la situation demeurerait compliquée puisque celles-ci ne sont pas la cible privilégiée des communicants.
Interrogé par Cryptoast, Owen Simonin (PDG de l'agence de communication et d’influence Hash Consulting) nous a confié :
« La communication uniquement via les entreprises PSAN ne permettrait pas aux influenceurs de subsister. Sur 600 entreprises françaises, seules 69 sont détentrices du PSAN. Une vingtaine d'entre elles a déjà donné du budget pour de la communication et seules 4 ou 5 le font régulièrement ».
Par ailleurs, il explique que « seulement 4 à 6% des opérations de communication sponsorisées ayant pour cible la communauté francophone, concernaient des entreprises enregistrées en tant que PSAN ». Autrement dit, cette loi détruirait instantanément le modèle économique de l'ensemble des professionnels exerçant des métiers d'informations dans le secteur des cryptomonnaies.
Une délocalisation de l'information
Le monde des cryptomonnaies est par nature communautaire : les sociétés de cette industrie ont besoin de communication pour grandir et les consommateurs expriment un besoin de formation et d'information. Naturellement, ils ne cesseront pas de se renseigner et se tourneront vers des influenceurs ou groupes d'influence internationaux qui, pour certains, sont beaucoup moins regardants sur la qualité des entreprises et des projets qu'ils mettent en avant.
Les entreprises non-PSAN pourront continuer de communiquer aux investisseurs français - via du contenu sponsorisé - par le biais des médias internationaux. Une partie d'entre eux touche en effet les français, comme le précise Owen Simonin : « même si un influenceur belge, canadien ou luxembourgeois ne vise pas la France, il crée du contenu francophone ».
Une perte en qualité du contenu et un risque plus grand pour les investisseurs
L'industrie française des cryptomonnaies s'est construite autour de médias spécialisés fournissant du contenu éducatif et informatif de qualité. Comme précisé plus haut, les investisseurs français continueront de se fournir en information et se tourneront vers d'autres acteurs. Outre une délocalisation probable des influenceurs ou de l'information, nous assisterons plus globalement à une délocalisation du problème.
La réglementation de l'activité d'influenceurs dans le secteur des cryptomonnaies est évidemment nécessaire pour protéger les investisseurs. Néanmoins, il serait contre-productif de restreindre ceux qui fournissent du contenu de qualité en effectuant des efforts importants de due diligence. Par ailleurs, la majorité des arnaques ne sont ni francophones ni développées sur le territoire français et continueront d'exister bien après le passage de cette proposition de loi.
Un coup dur pour l'innovation en France
Les répercutions ne s'arrêtent évidemment pas là. L'industrie des cryptomonnaies est remplie de jeunes pousses portant des innovations technologiques. Pour la majorité d'entre elles, il est impossible de s'enregistrer en tant que PSAN dès leur lancement, notamment pour des raisons financières. Leur couper l'accès aux canaux de communication permis par les influenceurs et les médias reviendrait à les tuer dans l'oeuf et à enterrer l'innovation française par la même occasion.
Des effets collatéraux pour un grand nombre d'entreprises
Ensuite, un autre enjeu majeur concerne le second amendement. Pour rappel, celui-ci vise à ne pas pénaliser les entreprises qui n'entrent pas dans le champ de la régulation. Autrement dit, celles qui ne proposent pas un investissement sur un actif numérique entraînant un risque de perte à titre onéreux.
En effet, un large pan des entreprises de l'industrie des cryptomonnaies n'a absolument pas vocation à être PSAN. À titre d'exemple, les deux licornes françaises Sorare et Ledger, fiers représentants de la French Tech, ne sont pas titulaires de l'enregistrement PSAN et leurs activités respectives ne le nécessitent aucunement. Néanmoins, la proposition de loi dans sa forme initiale « interdirait à ces entreprises de bénéficier des canaux de communication permis par les influenceurs ou les groupes d'influence », comme le soulève Faustine Fleuret.
À ce jour, selon les informations communiquées par l'Adan, moins de 50% des membres de l'association détiennent l'enregistrement PSAN. Les sociétés spécialisées dans l'analyse on-chain, l'éducation, les services juridiques, la comptabilité ou même les avocats ne sont pas concernées par cette régulation et n'ont pas vocation à obtenir le statut PSAN. Pourtant, elles souffriront directement de l'application de cette proposition de loi dite « influenceurs ».
? Pour votre information – Qu’est-ce que le PSAN et comment obtenir ce statut ?
Résumé : un enjeu pour l'ensemble de l'industrie française des cryptomonnaies
Vous l'aurez compris, l'enjeu de cette proposition de loi ne s'arrête pas simplement aux influenceurs français. Dans sa forme initiale, elle ferait s'effondrer le modèle économique actuel de la majorité des médias d'influence et détruirait ainsi le système d'information construit depuis quelques années.
Il est primordial qu'à minima, les deux amendements proposés par le député Éric Bothorel soient acceptés. Le premier permettrait aux entreprises détentrices d'un enregistrement PSAN de continuer de communiquer sur leurs activités et de toucher les individus français. Quant au second, il éviterait d'impacter les entreprises n'entrant pas dans le champ de la régulation et n'ayant pas vocation à être PSAN, qui souffrirait injustement de l'application de cette loi.
Dans tous les cas, la situation pourrait s'avérer compliquée pour les influenceurs et groupes d'influence français, dont la majorité du chiffre d'affaires est réalisée par le biais d'entreprises non enregistrées auprès de l'AMF. D'autant plus que la définition d'« influenceur » est très large et englobe bon nombre d’acteurs francophones.
Notez que cette proposition de loi est actuellement examinée à l'Assemblée Nationale et sera votée cette semaine en séance plénière, puis suivra le cours habituel par un vote au Sénat.
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Très bon et intéressant article comme toujours et encore merci. Voici toutefois 2 petites coquilles à corriger : a) "porter la voie " -> la voix avec x et b) "ne sont pas titulaire" -> titulaires avec s. Bonne soirée.
En effet Jean, merci. C'est corrigé. Bonne journée
excellent article , pourquoi ne pas utiliser le réseau theta network pour publier nos vidéos?
Ouin ouin ouin pauvres influenceurs... Parce que oui ce sont les seuls qui ont à y perdre dans cette histoire. Les autres ont tout à y gagner, et à commencer par les investisseurs. Il est extrêmement difficile de trouver du contenu sérieux sur les cryptos, d'une part parce que les médias traditionnels ne s'y risquent pas, et d'autre part parce que les médias spécialisés sont dans leur grande majorité financées par des articles sponsorisés qui ne donnent pas leur nom et qui encouragent à investir dans à peu près tout et n'importe quoi, en se planquant derrière des mentions légale… Read more »
Bonjour. Cet article n'a aucunement vocation à défendre les influenceurs. Au contraire, au même titre que les deux amendements proposés, il vise à mettre en avant les impacts que cette proposition de loi pourrait avoir sur les entreprises du secteur. D'ailleurs, "les autres ont tout à y gagner" : malheureusement non, au contraire. Si la PPL passe dans son état actuel : toutes les entreprises sont concernées et particulièrement injustement les non-PSAN n'ayant pas vocation à l'être. Cet article ne remet pas en cause l'intérêt d'inciter les entreprises à rentrer dans un cadre réglementaire via l'enregistrement PSAN : d'ailleurs, elles… Read more »
Encore heureux j'ai envie de dire, mais c'est très loin d'être le cas de tous les sites spécialisés ! Et si ce n'est pas le cas, ont peut à tout le moins dire qu'ils manquent alors complètement de recul critique... Les articles sponsorisés sont la gangrène du journalisme web (mais pas seulement). De manière générale, je pense qu'ils devraient être interdits car même quand le sponsoring est mentionné, cela reste trompeur car les articles sont mélangés aux autres et on clique facilement dessus sans s'en rendre compte. Ils entrent en contradiction avec la déontologie du journalisme. Si le modèle économique… Read more »