Quels sont les risques des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) ?

La majorité des banques centrales mondiales travaillent actuellement à des monnaies numériques, pour la plupart basées sur la blockchain. Quels sont les risques de ces nouveaux actifs et vont-ils réellement entrer dans les habitudes des consommateurs ? Nous avons fait le point avec des experts du domaine.

Quels sont les risques des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) ?

Les MNBC sont-elles nécessaires pour le futur des systèmes financiers ?

La question de l’utilité de ces actifs numériques revient souvent. Sont-ils au fond nécessaires ? Selon Frédéric Riera, consultant dans le domaine des MNBC, elles sont avant tout un symbole de stabilité pour les banques centrales :

« Les monnaies de Banque Centrale ont joué un rôle important pour la stabilité du système et la confiance des agents économiques dans les sociétés occidentales. […] Je pense qu’elles pourraient répondre à des besoins spécifiques et améliorer globalement notre futur économique. »

Avec un bémol : seront-elles adoptées dans des pays comme la France, « où le taux de bancarisation est fort et où la protection des citoyens est garantie » ? Xavier Lavayssière, chercheur indépendant dans le domaine de la finance numérique, partage cette interrogation. Il estime que les moyens mis en œuvre sont colossaux pour des résultats non garantis :

« Le principal risque, et même le plus probable, est que ce soit un gaspillage d’énergie et d’argent pour un résultat médiocre. Il y a de potentiels bénéfices à lancer un MNBC, mais ils sont mal identifiés et les projets essayent de faire un peu tout. »

La question de la nécessité de ces MNBC est donc nécessairement posée, à l’heure où des pays comme la Chine sont très avancés dans leur développement.

? Monnaies numériques de banque centrale (MNBC) – C’est quoi et comment fonctionnent-elles ?

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Des risques pour la stabilité économique et les banques ?

Quels sont les autres risques liés aux MNBC ? Selon Frédéric Riera, le système bancaire pourrait être impacté :

« Il existe un risque de déstabilisation du système bancaire actuel qui, sans être parfait, assure un rôle important pour tous. Dans ce cas, nous pourrions assister à un financement de l’économie plus faible et des impacts difficile à évaluer. »

C’est justement un sujet pointé du doigt par les banques commerciales. Celles-ci craignent que l’envol des liquidités vers des portefeuilles externes ne leur portent préjudice. Une éventualité confirmée par Frédéric Riera :

« Cette inquiétude est justifiée mais cela peut être limité et maîtrisé. […] Cela va nécessiter de la part des banques une remise en cause de certaines de leurs habitudes, elles vont voir arriver de nouveaux concurrents très agiles. »

Car là se joue une distinction qui est parfois floue : celle de la séparation entre les banques centrales et les banques commerciales :

« Ce n’est pas le rôle de la Banque Centrale de supporter le Business Model des banques commerciales à partir du moment où les changements ne remettent pas en cause la stabilité financière ni l’accès aux services financiers des citoyens. »

Une analyse partagée par Xavier Lavayssière, qui pointe aussi du doigt cette opposition entre les banques privées et les MNBC :

« Aujourd’hui le marché des paiements est contrôlé par des oligopoles et il y a un risque qu’à l’avenir les grandes entreprises de la technologie y prennent une place prévalente. En fonction de sa conception, un MNBC pourrait cependant remplacer plusieurs acteurs privés. »

C’est l’opposition classique : les monnaies privées sont mises face aux monnaies publiques – une vision au cœur de nombreux débats concernant les cryptomonnaies. Pour Frédéric Ocana, conseiller en sécurité, la décision de permettre ou non aux banques d’émettre les MNBC sera en effet cruciale :

« Le vrai problème de la main-mise risque d’intervenir sur le choix de l’émission de la MNBC. Sera-t-elle émise directement par la BCE ou par le biais des banques commerciales ? Quelles fonctions de main-mise laisse-t-on aux banques commerciales ? »

? À lire – Les exchanges de cryptomonnaies risquent-ils de remplacer les banques ?

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Une plus grande surveillance des utilisateurs

Le risque qui est peut-être le plus couramment évoqué quand il s’agit de MNBC reste cependant celui d’abus concernant la vie privée. Christine Lagarde et Jerome Powell l’ont confirmé récemment : les MNBC européennes et américaines ne seront pas anonymes.

Pour Frédéric Riera, il faut donc un cadre protecteur particulièrement bien dessiné :

« Il est important que le législateur, comme il l’a fait avec le RGPD, définisse un cadre très protecteur de l’utilisateur et mettant des garde-fous avant de permettre un accès aux données personnelles et/ou de transaction. »

Frédéric Ocana pointe également du doigt cet aspect, qui on l’a vu récemment peut s’inspirer du modèle du crédit social chinois :

« Bien sûr, le réflexe premier est d’évoquer le scoring social chinois, mais on a déjà oublié Cambridge Analytica et ce qui a été fait avec les données Facebook. Que feront les mêmes entreprises et ces lobbyistes avec vos données financières, vos achats des plus basiques à ceux plus secrets ? »

Tout cela revient au fond à l’utilisation qui sera faite de la MNBC. Est-elle un moyen de faire des virements très rapide, ou une forme d’espèces ? Un point rappelé par Xavier Lavayssière :

« Si c’est un nouveau moyen de paiement numérique, cela ne change pas du modèle actuel, bien qu’il ne soit pas idéal. Si on parle de se substituer au cash, c’est un problème. Beaucoup de banques centrales le reconnaissent aujourd’hui. »

Se pose aussi la question des réglementations. Étant donné la tendance de l’Europe et des États-Unis à vouloir fortement surveiller le secteur des paiements, les MNBC n’auront peut-être pas d’autre choix que de s’inscrire dans les lois existantes, selon Frédéric Ocana :

« La volonté réaffirmée des banques centrales de l’ Eurosystème de se préparer à émettre un euro numérique dans les prochaines années […] doit se conformer à l’adoption […] d’un ensemble de règlements, comme le DSA (Digital Services Act), le DMA (Digital Markets Act), le règlement MiCA (Market in Crypto Assets), etc. Et [ces derniers] ne permettent vraiment pas l’anonymat »

C’est donc tout ce cadre législatif qui devra aussi être pris en compte.

💡 Sur le même sujet – Le FMI voudrait utiliser les MNBC pour surveiller les habitudes d’achat des consommateurs

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Cybersécurité et vecteurs d’attaques

Nos trois intervenants ont également mentionné la cybersécurité, qui est un des risques les plus évoqués en matière de MNBC. D’autant plus que les projets sont multiples, selon Frédéric Ocana :

« Il y a autant de risques que de créateurs de MNBC, en partant du risque le plus bas que l’on trouve dans chaque code puis dans chaque infrastructure de support. Le besoin de cybersécurité est donc plus que nécessaire »

Xavier Lavayssière souligne aussi que la nature des risques est particulièrement multiple, pouvant aller de simples arnaques individuelles « à un échec complet du réseau ».

Autre point à souligner : le recours à la blockchain, encore majoritaire pour les principaux projets de MNBC, peut être remis en question. Pour Frédéric Riera, le doute est permis sur les capacités de mise à l’échelle :

« Cela me semble être des technologies permettant de déployer des systèmes de distribution et de paiement de MNBC innovants et efficaces. Mais ces technologies doivent encore prouver leur capacité à offrir les performances, en temps de latence comme en débit maximum, pour répondre aux besoins. »

Par ailleurs, les idéaux de décentralisation portés par les projets de blockchain initiaux ne sont pas nécessairement ce qui séduira les banques centrales, selon Frédéric Ocana :

« Pour un état ou l’Union européenne, le recours à une blockchain n’a que peu de sens. La Chine, qui fait des beta test [de sa MNBC] avec plusieurs millions d’utilisateurs à chaque fois, le montre très bien. Elle prend ce qui lui plaît dans le système des registres distribués et jette le reste car cela ne lui sert pas. Elle souhait une monnaie programmable et numérique pas un système de paiement non censurable. »

Avec une interrogation : « À quoi bon "blockchainiser" tout cela ? » C’est un questionnement également partagé par Xavier Lavayssière, qui explique :

« La plupart du temps, cela ne fait aucun sens. Un des rares cas cohérents est celui d’imaginer que les marchés financiers utilisent la blockchain et la MNBC vienne fournir de la monnaie fiable sur ces infrastructures. Ce modèle est cependant défendu par la banque de France. »

Conclusion sur les risques des MNBC

Les risques principaux des MNBC telles qu’elles sont élaborées en ce moment sont surtout liés à la surveillance des individus, et au manque d’anonymat.

Les questions de cybersécurité sont aussi particulièrement prévalentes, et justifient partiellement les longues phases de test mises en place. Il est encore difficile d’estimer si les MNBC feront réellement de l’ombre aux banques commerciales, tant que les projets ne sont pas plus avancés.

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