France : les entreprises crypto vont-elles disparaitre suite à la loi encadrant les métiers d'influence ?
La proposition de loi visant à mieux réguler le marché des influenceurs prévoit d'autoriser uniquement les entreprises titulaires de l'agrément PSAN à faire de la publicité en France. Cela pourrait avoir de graves conséquences sur l'avenir de l'écosystème des crypto-actifs sur le territoire et placer la France en retrait par rapport à ses voisins en matière d'attractivité des entreprises du Web3. Dans nos colonnes, des acteurs du secteur ont exprimé leurs inquiétudes quant à cette réglementation, qui sera discutée au Sénat jusqu'au 9 mai 2023.
Une loi dangereuse pour l'industrie des cryptomonnaies en France
Le 30 mars 2023, l'Assemblée nationale française a voté en faveur d'un projet de loi qui oblige les créateurs de contenu dans le secteur des crypto-actifs à ne promouvoir que des sociétés agréées en tant que Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN).
Cependant, à l'heure actuelle, l'Autorité des marchés financiers (AMF) ne peut pas délivrer l'agrément PSAN aux sociétés impliquées dans les activités de crypto-actifs en raison de l'impossibilité pour ces dernières de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle, condition obligatoire pour obtenir l'agrément.
Aujourd'hui, environ 70 sociétés sont enregistrées en tant que PSAN, et les titulaires de ce statut (plus simple à obtenir que l'agrément) sont habilités à communiquer sur leurs produits et services.
Cette interdiction de publicités ou de contenus sponsorisés via des influenceurs pourrait avoir de graves conséquences sur l'avenir de l'écosystème des crypto-actifs en France. En effet, cette décision risque de renforcer l'opacité et l'incompréhension autour des crypto-actifs et de rendre difficile le développement des entreprises sur le territoire, qui peineront à trouver une base d'utilisateurs.
Aujourd'hui, ceux qui produisent des contenus pédagogiques sur les cryptomonnaies partagent gratuitement leur savoir, mais parviennent à vivre de leur activité grâce à des partenariats avec des entreprises du secteur. Interdire cela reviendrait à réduire très fortement l'accès à des informations de qualité pour les internautes. Il est indéniable qu'en l'état actuel des choses, cette proposition de loi placerait la France en retrait par rapport à d'autres pays en termes d'adoption du Web3.
Suite à son acceptation par l'Assemblée nationale, cette proposition de loi fait l'objet d'une discussion au Sénat en séance publique du 2 au 9 mai et éventuellement le 10 mai 2023.
Il est intéressant de noter que certains amendements allant dans le bon sens ont été déposés hier, le 2 mai 2023, que vous pouvez retrouver ici.
Afin de mieux comprendre les impacts que cette loi pourrait avoir sur les entreprises du secteur des crypto-actifs, nous avons interrogé plusieurs acteurs concernés.
Leurs témoignages permettront de mieux appréhender les enjeux de cette proposition de loi et de mesurer les défis que les entreprises devront relever pour s'y conformer, si celle-ci est conservée sous cette forme.
Feel Mining : l'un des plus anciens PSAN
Chloé Desenfans, PDG de Feel Mining
Cette interdiction va faire beaucoup de mal à notre écosystème déjà enfermé dans une niche avec comme domaine une technologie relativement complexe à appréhender pour la majorité des gens. Les médias spécialisés sont de vrais partenaires, des piliers importants pour nous, mais surtout pour la démocratisation et l’adoption des crypto-actifs en général. Pour nous, acteurs enregistrés PSAN, la possibilité de communiquer par leurs biais est un canal très important pour promouvoir nos services.
Cette dure sentence, risque vraiment de mettre en péril l'activité de nombreux professionnels de notre secteur. Pour notre part, nous avons régulièrement recours aux services d'influenceurs et de médias spécialisés français pour faire la promotion de nos services. Il va être très compliqué désormais de communiquer, si même nos partenaires historiques et qualifiés sur notre domaine ne peuvent plus le faire.
Nous nous étions permis de penser, lors de l’échange avec Grégory Raymond et les députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta du 28 mars 2023, qu’il était possible de trouver un juste milieu, mais la décision a été prise très (trop) rapidement après cette discussion qui nous paraissait pourtant constructive et présageait un aménagement de la décision d’une manière plus modérée.
Très déçus de cette finalité, nous avons l’impression de faire 1 pas en avant, 3 pas en arrière. Si ce n’est pas nous, acteurs PSAN français, qui communiquons de façon transparente et claire, cela laissera carte blanche aux acteurs étrangers non régulés et aux influenceurs étrangers peu scrupuleux de continuer à communiquer et à produire des contenus sans avoir à être inquiété par la loi française, et malheureusement, les investisseurs français en recherche d’informations et de conseils n’auront plus qu’eux pour « s’informer ». Cela va, selon nous, à l’encontre même de la protection de l’investisseur et de l'épargnant français.
Il serait sage de réaménager cette décision pour éviter à notre écosystème de sombrer dans l’obscurité, les médias spécialisés sont nos portes-paroles, le travail remarquable de la grande majorité des influenceurs français est relégué au même niveau que certains peu scrupuleux qui propagent des escroqueries et cela est fort regrettable. Nous avons le sentiment d’avoir affaire à une interdiction prise à la va-vite, du même ordre que celle que l’on pourrait imaginer d’interdire l’utilisation de véhicules pour stopper les accidents routiers.
Dire que la communication d'influenceurs sera possible uniquement pour les PSAN agréés est soit un gros manque de connaissance de notre écosystème soit une façon de nous narguer publiquement. Pour rappel, la loi PACTE propose un agrément PSAN optionnel, mais il n'existe pas de PSAN agréés à ce jour. Pourquoi ? Pas par manque de volonté, mais, car l’obtention est quasi impossible. Cet agrément peut être délivré à un PSAN enregistré : soit grâce à la détention d’un niveau important de fonds propres (ce que notre jeune écosystème n’a pas dans la majorité des cas) soit grâce à une assurance RC Pro couvrant nos activités, contrat d’assurance qui n’existe pas encore dans notre cœur de métier.
Certains en parlent, certains prétendent aussi en avoir trouvé une, mais clairement on n’en a jamais vu la couleur, et si cette légende d’une RC Pro crypto existait réellement, aucune compagnie d’assurance ne la proposerait qu’à un seul client, ce n’est pas vraiment le business model d’une compagnie d’assurance d’être exposé aux risques d’un secteur d’activité en n’allant pas démarcher les quelques dizaines d’acteurs enregistrés à ce jour.
En bref, on nous impose des choses qui ne sont pas possibles à obtenir à ce jour même avec la meilleure des volontés. Rester Français coûte que coûte est un vrai parcours du combattant, il faut trouver des solutions alternatives et travailler ensemble en bonne intelligence , et vite, car les acteurs français s'essoufflent...
Notre fierté et notre volonté ont toujours été de développer nos services en France et de se conformer aux lois et aux exigences (grandissantes) des régulateurs, tout cela afin de démontrer notre désir de proposer des services fiables en répondant au mieux aux besoins de protection des investisseurs. Mais cette interdiction nous réduit au silence, met à mal nos efforts et ébranle encore un peu plus notre volonté de s’acharner à défendre le développement d'entreprises innovantes en France.
Vous souhaitez faire entendre votre voix, contactez-nous à [email protected]
Bitstack, Bitgen et Yuzu : d'autres startups françaises disposant de l'enregistrement PSAN
Alexandre Roubaud, PDG de Bitstack
Cette proposition de loi aura des conséquences préjudiciables pour les particuliers souhaitant s'informer sur les actifs numériques, les entreprises enregistrées PSAN cherchant à se développer dans ce secteur, ainsi que pour l'attractivité de la France en tant que territoire innovant et ouvert aux nouvelles technologies.
Clément Coeurdeuil, PDG de Yuzu
L'interdiction de la promotion des crypto-actifs par les influenceurs, sans distinction pour les créateurs de contenus honnêtes, risque de freiner l'innovation et le développement de projets tels que Yuzu en France. Cela portera également directement atteinte au projet de positionnement de la France en tant que Hub crypto en Europe.
Nous soutenons les recommandations de l'ADAN pour permettre aux prestataires de services sur actifs numériques enregistrés de réaliser des promotions sur leurs produits et services, préservant ainsi la croissance et la compétitivité de l'écosystème crypto français.
Hugo Lavigne, PDG de BITGEN
Chez BITGEN, nous pensons que les influenceurs et créateurs de contenu jouent un rôle essentiel dans la sensibilisation et l'éducation du grand public.
Ils permettent aux utilisateurs d'éviter les pièges et de mieux comprendre les risques et les avantages liés au secteur des cryptos.
Par le vote de la loi ce 30 mars dernier, qui limiterait l'accès à ces canaux de communication, le développement et la visibilité de BITGEN pourraient être sérieusement entravés malgré nos efforts.
En effet, nous avons consacré plus d'un an et demi de travail et investi des dizaines de milliers d'euros pour nous conformer aux exigences techniques et juridiques de l'AMF afin d'obtenir notre enregistrement PSAN. Cela témoigne de notre engagement envers la transparence et la sécurité des consommateurs.
Cette décision réduirait grandement notre capacité à atteindre de nouveaux clients et nuirait à notre compétitivité face aux acteurs internationaux qui ne sont pas soumis aux mêmes restrictions.
Nous avons conscience que certains influenceurs en profitent pour vendre des arnaques, mais des solutions alternatives pourraient être envisagées, telles que des certifications ou l’obligation de passer par une formation spécifique, qui garantiraient ainsi la qualité et la fiabilité des contenus partagés.
Nous soutenons pleinement les recommandations de l'Adan et espérons que les décideurs politiques prendront en compte les conséquences potentielles de cette loi.
Un cadre réglementaire adapté est primordial pour permettre aux entreprises comme BITGEN de prospérer et de contribuer à l'innovation et à la croissance économique du secteur des crypto-actifs en France.
Bitstamp et Young Platform : des entreprises étrangères titulaires du PSAN
Chez Cryptoast, nous estimons que si cette loi est promulguée en l'état, les entreprises étrangères seront fortement dissuadées de s'installer en France et les startups auront moins d'incitation à débuter leur activité dans le pays.
Voici les points de vue de Bitstamp et Young Platform, deux entreprises étrangères titulaires de l'enregistrement PSAN.
Jean-Baptiste Graftieaux, PDG de Bitstamp
Si la loi reste telle quelle, on va éteindre la lumière dans l’écosystème crypto, et cette situation sera particulièrement excessive puisqu’aucun acteur ne pourra communiquer ! Cette loi va mettre à mal tout le travail qualitatif effectué ces dernières années par les autorités financières et l’ensemble du marché, et la France pourrait ainsi perdre son avantage compétitif face aux autres pays européens.
Ambroise Helaine, Country Manager de Young Platform
Du point de vue de l'AMF et l'ACPR, le PSAN permettait de s'assurer des bonnes pratiques des acteurs du secteur, en contrepartie d'un accès libéré au marché français via publicité et influence.
La loi sur les influenceurs démonétise 50% de cette promesse, et remet en cause l'intérêt même de s'enregistrer en France à deux ans de l'entrée en application du règlement MiCA, laissant le champ libre à d'autres FTX de prospérer en toute impunité en France, sans possibilité d'agir.
D'un autre côté, cette loi ne distingue pas, pour le marché de la crypto, les créateurs de contenus consciencieux de ceux mal intentionnés. Quand on sait comment s'informent les nouvelles générations, museler les bons éléments ne semble pas être la bonne stratégie.
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