Le Venezuela premier Etat à émettre une crypto-monnaie : explications et précautions d’usage
Par Décret, en date du 3 décembre 2017, le Président du Venezuela, Nicolas Maduro, a annoncé le lancement d’une crypto-monnaie vénézuélienne, le Petro.
La première crypto-monnaie géostratégique
Avec son nom évoquant le pétrodollar, le Petro est conçu stratégiquement comme un moyen pour le Venezuela de contrer le blocus financier des Etats-Unis.
L’entreprise d’Etat Petroleos de Venezuela (PDVSA), pilier du commerce extérieur vénézuélien, indiquait, en aout 2017, être dans l’obligation de passer par la Chine pour recevoir les paiements des entreprises américaines, les virements vers le Venezuela étant bloqués par les banques américaines. Alors que le Président Donald Trump annonçait qu’une intervention militaire au Venezuela n’était pas exclue et que la perspective d’une renégociation de la dette souveraine paraissait s’éloigner, le Président Nicolas Maduro a décidé de contourner les difficultés de financement du Venezuela par la création d’une crypto-monnaie.
Fort de la publicité reçue par le projet de crypto-monnaie Petro ces deux derniers mois, le Président Maduro a invité le 6 février 2018 les autres membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à se joindre à son projet de crypto-monnaie pétrolière en créant une plateforme commune.
Le Petro une crypto-monnaie adossée au pétrole ?
D’après l’article 8 du Décret du 3 décembre 2017, l’émission de Petro dépend du nombre de baril de pétrole des réserves vénézuéliennes. Les barils de pétrole vénézuéliens sont présentés comme le sous-jacent du Petro. Le Petro pourrait ainsi être qualifié d’hybride entre crypto-monnaie, bon d’Etat et produit dérivé ayant pour sous-jacent le baril de pétrole.
Cet adossement initial au pétrole ne semble pas pour autant conçu comme une indexation et le prix du Petro devrait varier indépendamment du prix du baril de pétrole, une fois listé sur des plateformes d’échange de crypto-monnaie.
La prévente dès le 20 février 2018
D’après le document officiel, la prévente débutera le 20 février 2018 et permettra l’achat d’un token fonctionnant à partir des smart contract du protocole Ethereum, de type ERC20. Ce token pourra être échangé contre un Petro jusqu’à la fin de l’initial coin offering (ICO).
Les prix lors de la prévente seront conçus pour favoriser les primo-investisseurs grâce à des rabais dégressifs jusqu’à la fin de celle-ci.
L’organisation de la première ICO d’Etat
Le début de l’ICO est prévu pour le 20 mars 2018. Sur les 100 millions de Petro émis, 82,4 millions seront disponibles à l’achat lors de l’ICO qui ne prendra fin qu’une fois l’ensemble des Petro vendu. Les 17,6 millions de Petro restants seront conservés par la Surintendance des crypto-monnaies et des activités connexes du Venezuela, organisme d’Etat.
Avec un prix de 60 dollars par Petro et 82,4 millions de Petro disponibles à la vente, il faudra que soient levés 4,944 milliards de dollars pour que l’ICO atteigne son objectif, ce qui est particulièrement ambitieux. A titre de comparaison, l’objectif de l’ICO de Petro est supérieur à la totalité des sommes levées par le biais d’ICO pour toute l’année 2017. Jusqu’à présent, l’ICO la plus importante est celle de Filecoin, qui a réussi à lever 257 millions de dollars, notamment auprès de sociétés de capital risque aussi prestigieuses que Sequoia Capital ou Union Square Ventures.
Pour autant, le Petro est la première ICO d’Etat, elle n’est donc pas strictement comparable avec les projets existants.
Concernant l’affectation des sommes obtenues lors de l’ICO du Petro, la clé de répartition affichée est la suivante :
- 15% pour les développements technologiques nécessaires au déploiement du projet Petro
- 15% pour le développement de l’écosystème par la promotion d’applications sélectionnées par les détenteurs de Petro
- 15% pour les développements technologiques de la République du Venezuela en matière de blockchain
- 55% attribués à la République du Venezuela pour le soutien accordé à l’utilisation du Petro
Quelle protection pour les investisseurs étrangers du projet Petro ? Lorsque le droit international publique rencontre la crypto-monnaie
Malgré son caractère novateur et l’intérêt pour l’Etat vénézuélien de créer un climat de confiance autour du projet Petro, certaines caractéristiques du projet Petro, comme le flou maintenu autour de l’adossement sur le baril de pétrole, l’objectif très ambitieux fixé pour son ICO, le niveau d’endettement du Venezuela ou encore les mises en garde et les éventuelles ripostes économiques américaines invitent à la prudence.
Il est fréquent que les entreprises de crypto-monnaies déçoivent leurs investisseurs et plusieurs entreprises, associations et fondations font actuellement l’objet d’action en justice devant des juridictions nationales. C’est le cas, par exemple, aux Etats Unis où des actions de groupe (class action) visant à indemniser les investisseurs ont été engagées, notamment contre Tezos, qui avait réussi à lever 232 millions de dollars lors de son ICO. C’est également le cas en Chine, de manière plus spectaculaire et autoritaire, depuis le mois de septembre 2017, avec l’interdiction des ICO par la Banque Populaire de Chine, les sociétés chinoises ayant déjà réalisé des ICO ont été obligées de restituer les sommes investies.
Dans le cas du Petro, s’agissant d’une crypto-monnaie émise par un Etat souverain, le règlement d’un différend éventuel entre des investisseurs étrangers et le Venezuela ne pourra pas être soumis à une juridiction nationale étrangère.
Si l’investisseur ne parvient pas à se faire dédommager devant les juridictions vénézuéliennes, ce qui est probable lorsqu’un Etat est juge et partie, alors l’investisseur a généralement la possibilité d’engager un arbitrage selon les modalités prévues par le traité bilatéral d’investissement (TBI) conclu entre son Etat de résidence et le Venezuela. Sans rentrer dans le détail du fonctionnement des TBI, il convient de noter que pour bénéficier de la protection accordée par un TBI, l’objet du litige doit porter sur un investissement, ce qui est susceptible de poser des difficultés de qualification juridique s’agissant d’une crypto-monnaie, comme le Petro.
Cependant, même s’il parvient à obtenir une sentence arbitrale favorable, l’investisseur devra faire exécuter cette sentence au Venezuela. Pour obtenir l’exécution d’une sentence contre un Etat par ce même Etat, un seul outil est réellement efficace : la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats du 18 mars 1965, aussi appelée Convention de Washington. En effet, en vertu de l’article 54 de cette Convention : « Chaque Etat contractant reconnaît toute sentence rendue dans le cadre de la présente Convention comme obligatoire et assure l’exécution sur son territoire des obligations pécuniaires que la sentence impose comme s’il s’agissait d’un jugement définitif d’un tribunal fonctionnant sur le territoire dudit Etat ( …) ».
Or, le Venezuela a dénoncé la Convention de Washington en 2012 et peut donc aisément empêcher toute exécution sur son territoire d’une décision internationale contraire à ses intérêts, laissant les investisseurs avec une décision favorable mais aucun moyen de l’exécuter et de récupérer effectivement leur argent.
En résumé, si le Venezuela ne peut s’évaporer à la manière d’une bande de cyber-escrocs, cet Etat peut, sans enfreindre ses obligations internationales, traiter les investisseurs étrangers en deçà des standards internationaux en la matière, ce qui fait du Petro un « investissement » très risqué.
Quelques liens :
Site officiel du Petro
Livre blanc (version anglaise)
Livre blanc (version espagnole)
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